«Quand je le quittai au début d’août [1929], écrit Simone de Beauvoir à propos de Sartre, je savais que plus jamais il ne sortirait de ma vie.» Elle a alors 21 ans et lui 24. Ils viennent d’être reçus ensemble à l’agrégation de philosophie (lui est premier et elle deuxième). A priori, savoir que Sartre ne sortirait plus jamais de sa vie est pour Beauvoir un bonheur. Pourtant, dans sa vie d’écrivain, il est certain que cette présence, pendant cinquante et un ans, sera pesante. Il faudra le Deuxième Sexe, en 1949, pour la débarrasser (un peu) de l’empreinte du grand homme.
Née le 9 janvier 1908 à Paris, Simone de Beauvoir connaît donc comme une seconde naissance le jour de 1929 où, par l’intermédiaire de René Maheu, elle rencontre le philosophe de sa vie. «Entre nous, il s’agit d’un amour nécessaire : il convient que nous connaissions aussi des amours contingentes.» Ils en connaîtront. En 1931, l’Education nationale la nomme à Marseille tandis que Sartre va au Havre. Ils passent l’été ensemble en Espagne. C’est l’époque où ils se soucient plus des faits divers que des événements politiques : «Cette année encore [1932], nous nous souciâmes peu de ce qui se passait dans le monde.»
1936 est, à tous points de vue, une année d’épreuves. C’est la guerre d’Espagne, et leur désintérêt des affaires du monde n’est plus ce qu’il était. Certes, ils ne s’engagent pas dans les brigades internationales. «Qu’est-ce que Sartre aurait fait avec un fusil ?» demandera encore Simone de Beauvoir en 1977. Et sont-ce vraiment «les amours contingentes» qui envahissent leur vie ? Olga Kosakiewicz entre dans la vie commune du couple. L’expérience Nietzsche/Paul Rée/Lou Andreas-Salomé a déjà montré que les meilleurs philosophes pouvaient n’être plus tout à fait eux-mêmes face à certaines contraintes sexuelles. Le trio Sartre/Beauvoir/Kosakiewicz est aussi un échec. Mais pas tant que ça. L’Invitée, le premier roman de Simone qu’elle publie en 1943, est nourri de cette expérience.
Auparavant, bien sûr, il y a la guerre. Sans elle, Simone de Beauvoir n’aurait peut-être jamais écrit. Dès le printemps 1939, l’existence de la jeune femme de 31 ans change du tout au tout. «Le printemps 1939 marque dans ma vie une coupure, je renonçai à mon individualisme, à mon antihumanisme. J’appris la solidarité. […] En 1939, mon existence a basculé d’une manière aussi radicale : l’histoire m’a saisie pour ne plus me lâcher.» D’autant qu’après le printemps, il y a l’été : «Un matin nous apprîmes par les journaux la conclusion du pacte germano-soviétique. […] La paix était définitivement perdue. […] La nuit descendait sur la terre, et dans nos os.»
La deuxième partie des années 40, quand la vogue existentialiste est à son sommet, est aussi pour Simone de Beauvoir une période de considérable production. Après l’essai Pyrrhus et Cinéas, en 1944, elle publie coup sur coup son unique pièce de théâtre, les Bouches inutiles, et, la même année, le Sang des autres. Un nouveau roman paraît en 1946, Tous les hommes sont mortels, précédant divers essais : l’Existentialisme et la Sagesse des nations (1948), l’Amérique au jour le jour (1948) et, surtout, le Deuxième Sexe.
Quand le livre parait en 1949, elle a 41 ans. L’ouvrage aura, les années passant, un retentissement énorme et fonde encore aujourd’hui la célébrité internationale de son auteur. «On ne naît pas femme, on le devient», écrit-elle. Et le livre est maintenant considéré comme fondateur du féminisme moderne. La réputation de Simone de Beauvoir est immense. Elle est enfin femme avant d’être femme de Sartre.
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