«La vie est belle !» sourit Maha sous le soleil en traversant l’avenue Bourguiba. Les terrasses sont pleines, la foule déambule sur la principale artère de Tunis, coupée à la circulation par des chars. Mais les blindés sont décorés de bouquets apportés par des anonymes venus remercier l’armée. Sur la promenade, entre les arbres, des petits groupes se forment et se défont au gré de discussions passionnées. D’autres s’agglutinent devant la vitrine de la librairie Al-Kitab, qui a exposé tous les livres interdits sous Ben Ali : les rapports de Reporters sans frontières, les pamphlets du journaliste Taoufik Ben Brik, des ouvrages sur l’islam politique, ils sont tous là. On peut les voir, les toucher, mais pas encore les acheter : la patronne, Amel Chehimi, a passé commande et attend de voir si le département de la censure du ministère de l’Intérieur va, comme par le passé, bloquer ces livres. En attendant, elle fait signer une pétition pour la levée de la censure. Impensable il y a une semaine.
Sept jours après la fuite de Ben Ali, le centre de la capitale tunisienne est devenu une vaste agora, où vient s’exprimer un inextinguible besoin de parole. Chacun veut raconter son expérience de la dictature, donner son avis, ses conseils, sa vision des choses. Ceux qui parlent le plus fort ont souvent des choses à se reprocher : «Les vestes sont réversibles», rigole un badaud. Les discussions sont animées, mais empreintes d’un grand respect. Les islamistes, longtemps réprimés et encore peu nombreux dans les manifestations, sont bienvenus, mais quand l’un s’avise de crier «Allah akbar» ou de prier en public, il se fait gentiment rabrouer. La vie a repris un cours presque normal, en plus gai. Il y a des choses à lire dans les journaux. Tout le monde veut prolonger l’état de grâce. «On vit, on sourit, on découvre ses voisins, on se parle», se réjouit Maha, jeune fonctionnaire au ministère des Sports. Elle a quitté son bureau pour participer à la manifestation de vendredi, avant de retourner au travail : «De toute façon, on n’a pas grand-chose à faire», rigole-t-elle.
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