Todd Shepard: «La France rétrécit sur ses frontières» – Page 1 | Mediapart

Todd Shepard est l’auteur d’une thèse intitulée The Invention of Decolonization: The Algerian War and the Remaking of France, traduite en France sous le titre 1962 – Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, publiée chez Payot. Professeur associé à l’université américaine John-Hopkins de Baltimore, son travail s’intéresse à la manière dont la France a été – et demeure – transformée par les conditions de l’indépendance algérienne en particulier, et de l’histoire coloniale et impériale du pays en général. Son interrogation porte, plus précisément, sur la nature même du projet républicain et la période 1958-1962, dont il montre qu’elle était grosse d’autres possibles que le présidentialisme et l’autoritarisme de la Ve République.

Quel regard portez-vous sur la situation de la France après ces élections municipales et ce changement de gouvernement ?

C’est désastreux de voir ainsi arriver au poste de premier ministre quelqu’un qui a porté une parole célébrant la blanchitude, le rejet des Roms et de l’islam, comme si c’était la manière de répondre à la montée du Front national et de la droite.

J’étais à Marseille il y a seulement quelques semaines, et j’ai été particulièrement troublé par la rareté de la présence de personnes d’origine immigrée sur les listes électorales, la manière dont a été géré le cas de Samia Ghali, ou les propos de Mennucci sur le fait que le mariage pour tous avait coûté des voix à la gauche…

J’étais aussi récemment en Algérie, et je pensais qu’avec l’élection de Hollande, il serait au moins possible de prendre en compte la part algérienne de la France, et que les personnes originaires du Maghreb n’allaient plus être stigmatisées à tout propos. Mais, même sur ces sujets, le pouvoir socialiste a été décevant. Je veux vous exprimer ma solidarité, parce que la situation française est très difficile, parfois désespérante. Quand j’ai mes ami-e-s français-e-s au téléphone, je leur dis « bonne chance et courage ».

Quels blocages principaux identifiez-vous à la fois dans la société et la politique françaises, dont la crise semble manifeste, aussi bien à travers l’affairisme et le durcissement d’une grande partie de la droite, que dans l’impuissance et les renoncements d’un large pan de la gauche ?

Léon BlumLéon Blum

Ces blocages sont pour moi liés à la fois à l’abandon d’une perspective progressiste, à l’oubli de pans entiers de l’histoire républicaine et au rétrécissement de l’Hexagone sur ses frontières. Mon trajet personnel m’a amené à m’intéresser à l’histoire française dans les années 1980, en pleine période reaganienne de mon côté de l’Atlantique, et je me souviens d’avoir été saisi par la maxime de Léon Blum selon laquelle le socialisme, même quand il n’était pas en position d’avancer vers de nouvelles conquêtes sociales et politiques, devait tenir dur comme fer aux victoires acquises.

Je pense donc intéressant de garder précieusement certaines valeurs, certains récits, et même des mots comme celui de socialisme que Manuel Valls voulait voir disparaître du « parti socialiste ». Mais je ne suis pas désespéré, parce que la France a un héritage riche de luttes et d’inclusion qui peut encore la porter.

Ce qui me trouble le plus, c'est l’intolérance et la rancune envers autrui, qui peuvent s’expliquer par le manque de confiance envers l’avenir, mais qui me semble en contradiction flagrante avec le passé d’inclusion de la France. L’histoire impériale et coloniale de la France est une histoire de violence et de domination, mais aussi de confrontation à l’altérité.

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