Thiaroye, un passé à reconstituer

Travaillant depuis plusieurs années sur les prisonniers de guerre « indigènes » de la Seconde Guerre mondiale internés en France, et non en Allemagne, je m'intéresse forcément à Thiaroye, sortie de guerre problématique comme l'a rappelé le Président de la République lors de son discours à Dakar, le 12 octobre 2012 : « La part d'ombre de notre histoire, c'est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s'étaient pourtant battus pour la France. J'ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu'elles puissent être exposées au musée du mémorial ».

Les combattants coloniaux faits prisonniers par les Allemands en juin 1940 subirent quatre longues années de captivité. À la Libération, ils sont regroupés dans des centres de transition avant le retour dans leur terre natale. Le 3 novembre 1944, à Morlaix, 2 000 tirailleurs sénégalais doivent embarquer pour le Sénégal mais 300 d'entre eux refusent de monter à bord du Circassia tant qu'ils n'ont pas perçu leur rappel de solde et sont envoyés à Trévé, dans les Côtes d'Armor, où ils seront gardés par des gendarmes et des FFI, provoquant un grand désarroi –d'autant qu'ils ont été nombreux à rejoindre les rangs des FFI. À l'escale de Casablanca, 400 hommes refusent de poursuivre le voyage et c'est donc 1280 tirailleurs sénégalais qui débarquent à Dakar le 21 novembre 1944 pour être immédiatement transportés à la caserne de Thiaroye. Les autorités militaires veulent les ventiler rapidement vers leurs territoires mais les anciens prisonniers de guerre refusent de partir tant qu'ils ne percevront pas leur rappel de solde, comme cela leur avait été promis avant l'embarquement à Morlaix. Considérant le détachement en état de rébellion, le général Dagnan, avec l'accord du général de Boisboissel, a alors décidé de faire une démonstration de force  le 1er décembre 1944. Jusqu'à aujourd'hui, la responsabilité de cet événement tragique incombe essentiellement aux anciens prisonniers de guerre qui ont enfreint la discipline militaire.

C'est en 2000 que j'ai commencé à fouiller les archives sur Thiaroye, au Centre des archives d'outre-mer (CAOM), au Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT) devenu Service Historique de la Défense (SHD) et au Sénégal. Très vite, j'ai repéré et signalé dans des publications un problème dans les archives en France : les rapports officiels mentionnent un télégramme émis par la Direction des Troupes coloniales avant la mutinerie, mais introuvable dans les fonds d'archives. Un document aussi important ne pouvait pas disparaître sans raison. Cette interrogation m'a amenée à regarder autrement ces archives pour déceler ce qui pouvait éventuellement manquer. L'historien, pour pouvoir interpréter et donner une dimension éthique à la mémoire réparatrice d'oublis, a besoin de documents fiables. Outre ce télégramme daté du 18 novembre 1944, il m'a été impossible de retrouver les textes officiels qui précisent les mesures administratives concernant les anciens prisonniers coloniaux internés dans des frontstalags : circulaires n° 2080 du 21 octobre 1944, n° 3612 du 4 novembre 1944, n° 6350 du 4 décembre 1944, n° 7820 du 16 décembre 1944. La lecture de différents rapports m'a permis cependant de reconstituer le contenu de ces textes officiels. L'absence de ces documents dans

via blogs.mediapart.fr

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x