Jean Viard : Prenons quelques chiffres sur dix ans. En 1998, les 10% les moins riches avaient un niveau de vie de 7100 euros par an et par personne. En 2008, hors inflation, ce chiffre avait augmenté de 13,7%, soit 970 euros de plus. Pour les 10% les plus riches, ce même indicateur a progressé de 27,3% : ça fait 11 530 euros en plus. Et les 0,01% les plus riches, eux, ont gagné 360 000 euros de plus ! Ça donne deux informations : la première, c'est que les écarts se creusent, et la seconde, que la moyenne n'a pas grand sens…
Le problème, c'est que nos modes de consommation nous coûtent de plus en plus cher. Il y a dix ans, on n'avait pas de téléphone portable, pas d'Internet, quasi pas d'abonnements à des bouquets de chaînes de télévision… L'évolution des modes de vie fait qu'on arrive moins bien à vivre au même standard – au sens où ces nouveaux produits sont maintenant entrés dans le standard. Le sentiment des gens n'est donc pas faux.
Jusqu'aux années 1990, l'évolution des revenus était suffisante pour absorber les innovations technologiques. Prenez le lave-linge, le lave-vaisselle, la télé couleur… Quand ça apparaissait, les riches l'achetaient tout de suite, les couches moyennes l'année d'après et les prolos deux ans plus tard. On savait que, quelle que soit sa position dans la société, son revenu permettrait d'avoir l'objet soit tout de suite, soit les années d'après.
Comme l'évolution des revenus est devenue moins rapide que celle des modes de vie, les choix qu'on est amené à faire ont augmenté. Les téléphones portables sont devenus les premiers concurrents du départ en vacances dans le poste de dépenses mobilité-loisirs : on ne peut pas remplacer une soupe par un téléphone portable, mais on peut gratter sur ses vacances. Cela montre que la croissance des salaires est insuffisante pour absorber le progrès technique.
La hausse des grosses dépenses comme le logement réduit le revenu disponible…
Les dépenses contraintes ont effectivement augmenté : le logement et l'énergie sous toutes ses formes, chauffage, essence… Mais il y a une autre raison : en dix ans, la structure des prix a changé. Il y a de plus en plus de produits manufacturés qui viennent de loin et qui coûtent de moins en moins cher. Par contre, tout ce qui est quotidien – se nourrir, se loger, se soigner… – est fait avec des gens payés au même salaire que nous.
Prenez vos courses au supermarché : 70% des objets que vous achetez en dehors de l'alimentaire viennent d'Asie, et leur prix s'est effondré. Les productions européennes coûtent beaucoup plus cher, donc on a l'impression qu'il n'y a plus de logique dans les prix : bientôt, vous allez acheter un ordinateur pour le prix d'un kilo de pommes de terre !
Les réglementations ont aussi un effet pervers. On parle de « marché du logement » : si c'était un vrai marché, comme il y a une énorme demande, on construirait n'importe où. Heureusement, on régule ce marché, au nom de l »environnement, de la protection des paysages… On dit que c'est un marché, mais il n'arrête pas de produire de la norme, et la seule chose qui est libre c'est le prix, le loyer. Tout le reste est réglementé, et du coup, le prix n'a plus aucun sens : il n'est plus lié au coût de production du logement, ni à son coût d'entretien et de renouvellement. C'est un f
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