«George Orwell disait des humains vivant hors d’Europe, de l’Amérique du Nord et de quelques pays privilégiés d’Asie qu’ils étaient des
non-personnes
», écrit
André Vltchek
dans l’avant-propos. Tel est le fil conducteur de ce livre, où l’on évoque des millions de morts par lesquels la conscience occidentale n’a pas été marquée: «non-personnes» des colonies, puis du tiers-monde, victimes de la poursuite occidentale du pouvoir, des ressources et du profit, tuées et rendues insignifiantes.Après quinze ans d’échanges épistolaires sur ce sujet, deux hommes décident de se rencontrer pour dialoguer, pendant deux jours, en enregistrant leur conversation en vue d’un film (actuellement en production) et d’un livre, publié en anglais en 2013 et aujourd’hui en français. L’un des deux est Noam Chomsky, figure majeure de la linguistique et intellectuel militant, attelé au dévoilement du système de propagande qui forge l’opinion dans les pays démocratiques et à la déconstruction de l’impérialisme américain. Son interlocuteur, André Vltchek, est Soviétique de naissance, New-Yorkais d’adoption, philosophe, romancier, cinéaste, reporter, poète, dramaturge et photographe, selon l’ordre qu’il retient lui-même pour énumérer ses activités.
«Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes», attaque Vltchek. A celles-ci, «mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’Etat militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit», s’ajoutent «des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère, en silence».
Colonialisme, d’abord: histoires oubliées. «Les premiers camps de concentration n’ont pas été construits par l’Allemagne nazie, mais par l’Empire britannique, en Afrique du Sud»: c’était pendant la seconde guerre des Boers, à l’aube du XXe siècle. Quant à l’Allemagne, avant l’extermination des Juifs (et des Roms), elle avait été «impliquée dans de terribles massacres en Amérique du Sud et, en fait, un peu partout dans le monde» – mais qui connaît la décimation, par ses soins, des Héréros de Namibie, des Mapuches de Valdivia, d’Osorno et de Llanquihue (Chili), des natifs des Samoa allemandes? «A propos des connaissances des Européens sur le colonialisme, je répondrais qu’ils n’en savent presque rien.»
Néocolonialisme, ensuite. «Des atrocités parmi les plus abominables ont été commises ces dernières années dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). De trois à cinq millions de personnes y auraient perdu la vie. Qui doit-on montrer du doigt? Les milices. Mais derrière les milices se trouvent les multinationales et les gouvernements», affirme Chomsky. L’enjeu? «Avoir accès au coltan (utilisé par les Occidentaux dans leurs téléphones portables) et à d’autres minéraux précieux.»
Impérialisme, enfin. De l’histoire du Cambodge, on connaît essentiellement les atrocités commises entre 1975 et 1979 par le régime communiste des Khmers rouges. «En ce qui concerne les quelques années qui l’ont précédé, on nage dans l’ignorance.» Mais au début des années 1970, avant le règne de Pol Pot, la terreur venait du bombardement des zones rurales ordonné par le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger: un «véritable appel au génocide». Comme au Laos, où «des millions de personnes ont ainsi été impitoyablement assassinées», l’objectif de l’opération était
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