Moncef Marzouki, qui fut candidat à l'élection présidentielle tunisienne en 1994, fustige par ailleurs l'attitude de la France, où il a vécu en exil avant de rentrer au lendemain de la révolution, et de ses médias : «Avec les Français, parfois, les bras m'en tombent : ils sont vraiment prisonniers de leurs schémas mentaux, ne comprennent rien à rien dès qu'il s'agit du monde arabe, et vont finir par tout louper.» Entretien.
Moncef Marzouki, où en êtes-vous des négociations pour la formation du gouvernement d'union nationale ?
Il y a trois dossiers sur lesquels il faut avancer. Le premier, c'est la nature des réformes que doit conduire le prochain gouvernement. Pour le CPR, ces réformes doivent être réelles, structurelles et concrètes. Il y a deux types de réformes, celles urgentes, qui concernent la police et la justice, et le dossier des martyrs et des blessés de la révolution. Ce sont des dossiers sensibles du point de vue de la psyché collective.
Il y a ensuite les réformes de structure. Le Congrès pour la république appelle à la tenue d'états généraux, du chômage, de l'éducation, de la culture, du système judiciaire, sécuritaire, des relations extérieures, de l'énergie. Pour nous, ce concept d'états généraux signifie que les partis confrontent leurs programmes avec des spécialistes de ces questions, ainsi que des représentants de la société civile. Au bout de trente jours, pour que les débats ne s'éternisent pas, il faut que l'on mette en place les grands axes des réformes de structure. De cette manière, nous pourrons à la fois établir des réformes d'urgence et de structure, et notamment sur la question centrale du chômage. La dictature a détruit pratiquement tous les systèmes, éducatifs, de santé, etc.
Le second dossier, c'est l'élaboration d'une sorte de petite constitution, en attendant la grande. Cela nous prendra au moins une année, voire une année et demie pour se mettre d'accord sur les bases, quel type de régime, etc. En attendant, il faut une répartition claire des pouvoirs entre le président de la République, le président de la constituante et le premier ministre, de façon que le pays soit gouverné presque comme un triumvirat.
Une fois que nous serons d'accord sur les réformes et la répartition des pouvoirs, il faudra parler de celle des responsabilités ministérielles. Ce, en fonction des scores obtenus par les partis et en fonction d'une règle évidente – l'homme ou la femme qu'il faut, à la place qu'il faut – de manière que ce gouvernement soit homogène, efficace et réponde aux grandes attentes du pays. Nous sommes actuellement en train de débattre sur ces trois niveaux.
via www.mediapart.fr