Dimanche 25 octobre, à 73 ans, Zine el Abidine Ben Ali se présente pour
obtenir un cinquième mandat à la tête de l'Etat tunisien, après 20 ans
de règne. En face de lui, trois «challengers».Mais pour l'ancien candidat à la présidence de la République tunisienne, Moncef Marzouki, ces élections, présidentielles et législatives, relèvent du même «simulacre» toujours recommencé, propre à la «démocratie frelatée» qu'est selon lui la Tunisie de Ben Ali. Opposition tunisienne, islam, démocratisation du monde arabe… Alors que paraît cette semaine son nouveau livre, un long entretien avec le chercheur Vincent Geisser, Moncef Marzouki, qui fut un temps président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, dissèque pour Mediapart tous les rouages d'une «dictature mafieuse», terrain de tous les trafics, et qui continue d'être activement soutenue par l'Etat français. Entretien.
À 73 ans, et après vingt années de règne, Ben Ali se présente pour la cinquième fois à la présidence de la République tunisienne, face à trois autres candidats. Mais peut-on seulement parler d'élections ?
Certainement pas. Ce sont en fait des élections frelatées, qui sont la signature d'une démocratie frelatée. Ben Ali se targue par exemple d'avoir signé toutes les conventions relatives aux droits de l'homme, mais on torture depuis vingt ans en Tunisie, et les militants des droits de l'homme sont persécutés comme nulle part ailleurs dans le monde. De même, Ben Ali se targue d'avoir organisé une démocratie pluraliste, alors que tous les partis d'opposition sont des partis contrôlés, infiltrés, autorisés par la police… Il organise tous les cinq ans un simulacre d'élections, mais personne n'est dupe. Il s'agit tout simplement de reconduire ipso facto, avec 90% des voix, le dictateur, et de partager les sièges du parlement en fonction de la docilité des uns et des autres.
Ces élections frelatées constituent de mon point de vue un triple crime. D'abord, un crime contre la morale, puisque que les mots sont vidés de tout sens, puisque tout le monde ment et sait que tout le monde ment, et tout le monde accepte que tout le monde mente à tout le monde ! C'est une insulte à la dignité des Tunisiens, puisque, à l'aide de pressions morales et physiques, on traîne de pauvres hères pour qu'ils aillent se prêter à un jeu malsain. C'est ensuite une insulte à la démocratie, puisqu'on utilise l'un des mécanismes fondamentaux de la démocratie pour instituer la dictature.
J'ai écrit un livre il y a quelques années, La Deuxième Indépendance. Pour moi, le peuple tunisien n'a fait que changer d'occupant. Nos pères se sont battus contre l'occupant extérieur, pour la première indépendance. Ma génération est en train de se battre pour la deuxième indépendance, c'est-à-dire celle du peuple vis-à-vis de son Etat.
En quoi cette élection présidentielle diffère-t-elle des quatre précédentes, qui ont chaque fois permis la reconduction de Ben Ali ?
via www.mediapart.fr