Or, trente après, où en sommes-nous ? Inquiets de l'état
démocratique dans lequel Nicolas Sarkozy pourrait laisser la France, lui qui a
usé avec encore plus d'exagération que d'autres de ce système de pouvoir
personnel ; désireux d'œuvrer enfin à une véritable fondation démocratique, les
socialistes sont-ils enfin déterminés à dépasser les atermoiements d'un Lionel
Jospin et avancer vers une VIe République ? On connaît malheureusement la
réponse : pour l'heure, les socialistes semblent être tombés d'accord sur le
plus petit dénominateur commun. Une réforme a minima, comprenant quelques
petites avancées, mais tempérées par beaucoup de frilosité…Les « 110 propositions »
ont donc valeur de rappel. Nulle nostalgie ! Aussi brouillonnes
furent-elles, elles reposaient sur un projet tout d'abord collectif. Elles
avaient un souffle, celui du réformisme radical. Et portaient un formidable
espoir.Mieux que cela ! Elles étaient d'abord le reflet
d'une dynamique. Depuis 1968, toute la société était en mouvement, et si le
parti gaulliste était parvenu, tant bien que mal, à endiguer cette lame de
fond, celle de la contestation étudiante et celle de la grève générale, il
n'avait obtenu qu'un sursis. La force de ces « 110 propositions »,
cela a donc d'abord été d'exprimer, même maladroitement, ce qui cheminait dans
tout le pays : l'aspiration pour moins d'autoritarisme, pour moins
d'inégalités. Oui ! La force de cette plateforme, cela a été de surfer
sur cette formidable dynamique collective, qui a mis tout le pays en mouvement,
pour une société plus juste.De cela, on peut certes avec le recul sourire.
Puisque, dans leur souci d'être à l'écoute de la société, les socialistes ont même
été en 1981 jusqu'à consigner dans leur programme certaines revendications qui,
le temps passant, peuvent paraître mineures ou dépassées, comme la suppression
de la vignette moto – à l'époque très populaire auprès de nombreux jeunes. On
aurait tort pourtant de traiter cela par la dérision ou l'ironie. Car c'était
la preuve que les socialistes avaient alors d'abord le souci d'entendre ce que
voulait le pays. Et s'ils ont gagné en 1981, s'ils ont balayé les manœuvres de
division du Parti communiste, c'est d'abord à cause de cela : parce qu'ils
ont surfé sur une formidable dynamique, celle du mouvement social, celle
au-delà d'un mouvement qui affectait toute la société.C'est la principale leçon de ces « 110
propositions » : la gauche ne peut gagner que si, portant le rêve
d'une transformation sociale, elle sait enclencher une dynamique. Pas des
manœuvres d'appareil ou des accords au sommet, non, une vraie dynamique, à
l'écoute de ce que dit la société, à l'écoute de ce que portent aussi comme
espoir ses partenaires ou alliés potentiels : il n'y a de victoire de la
gauche que si le peuple entre en mouvement.Qu'il nous soit même permis de le
dire ! Il y a une fraîcheur dans ces « 110 propositions », un
enthousiasme, qui font du bien ! Que les dirigeants socialistes n'y voient
aucune récrimination, mais c'est vrai : au cours de ces trente dernières
années, il y a eu tellement d'espoir déçu, tellement de déconvenues, qu'un
texte comme celui-là, cela réconcilie avec la gauche. Cela redonne espoir.Cela donne l'envie formidable que,
tournant le dos aux petites cuisines d'appareils auxquels il leur est trop souvent arrivé de
céder, les socialistes renouent avec ce rêve, qui devrait être celui de toute
la gauche, dans toutes ses composantes, réformiste ou radicale : « Changer
la vie » !
via www.mediapart.fr