Cette invitation inhabituelle était évidemment une reconnaissance du travail de Mediapart, par la profession en général et par nos collègues de l'audiovisuel public en particulier. Mercredi dernier, 21 septembre, jour de l'accélération judiciaire des affaires Karachi/Takieddine avec les gardes à vue, suivies de leurs mises en examen, de Thierry Gaubert et de Nicolas Bazire, j'ai reçu un appel de l'équipe de Mots Croisés en vue d'une émission de débat autour des affaires, qui s'annonçait selon un dispositif de table ronde classique.
Ayant donné mon accord de principe, j'ai été recontacté le lendemain après que Henri Guaino, sollicité à son tour par Yves Calvi et par la rédactrice-en-chef de l'émission, Brigitte Benkemoun, eut exprimé sa préférence pour un face à face plutôt que pour un débat trop déséquilibré. La proposition était loyale, sans piège aucun, et je l'ai donc acceptée, même si la capacité de cette présidence, depuis 2007, à endosser tous les rôles et à revêtir tous les costumes – policier, magistrat, banquier, général, diplomate et, maintenant, éditorialiste… –, au mépris de la séparation ou de l'équilibre des pouvoirs, ne laisse pas de surprendre.
En route donc pour cinquante minutes de face à face entre Mediapart et le « conseiller spécial du Président de la République », auteur de nombre de ses discours, de celui de Dakar à celui de Toulon (lire ici à propos du premier, désastreux, et là à propos du second, inspiré), numéro trois dans l'ordre protocolaire du cabinet présidentiel à l'Elysée (lire ici l'organigramme officiel). Au cours d'une discussion collective préalable, lors de notre réunion quotidienne de la rédaction, le lundi matin, nous étions convenus que je devais m'en tenir à un rôle de journaliste, apportant des faits d'intérêt public et interpellant sur cette base le représentant du pouvoir.
Dès le début de l'émission, j'ai compris que Henri Guaino voulait, tout au contraire, m'entraîner sur le terrain d'un affrontement directement politique, me plaçant en opposant systématique qui fonctionnerait à l'idéologie plutôt qu'à l'enquête, au préjugé d'opinion plutôt qu'à la vérité des faits. C'est ce que dévoile l'instant où Henri Guaino commence à dérouler un conducteur de l'émission, tentant de fixer l'ordre du jour en lieu et place d'Yves Calvi. Décidant de ne pas rentrer dans ce jeu élyséen, j'ai alors choisi de monter au filet, comme l'on dit au tennis (sport que je ne connais guère, ce n'est donc qu'une image), c'est-à-dire d'attaquer en passant d'une information à l'autre, d'une interpellation à une question, d'un fait à une révélation, etc., contraignant ainsi Henri Guaino à courir d'un côté à l'autre du court télévisuel.
Ce zigzag a peut-être nui à la clarté ou à la cohérence de l'échange, mais c'était, me semble-t-il, la seule façon de casser les codes : ne pas accepter un échange d'idées totalement déconnecté de la réalité et de l'actualité qui, de surcroît, aurait brouillé les frontières entre le politique et le journaliste. En tout cas, il a réussi à énerver mon interlocuteur qui a perdu son calme, obligé de renoncer aux grandes tirades qu'il avait sans doute prévues pour défendre ce qu'il pense être la haute politique présidentielle face à la basse chronique affairiste.
A chacun d'entre vous de juger du résultat. L'un des enseignements de cet échange est la contre-attaque choisie par l'Elysée sur le terrain des affaires, de la corruption qu'elles dévoilent et de la morale publique qu'elles interpellent. Résumé en trois temps :
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