Il était une fois la France vaincue, à genoux. Il était une fois, le triomphe des Nazis. Il était une fois, de "bons Français", réjouis de la défaite, réjouis de pouvoir offrir leurs "services" à l’occupant "heureux comme un dieu en France" réjouis de pouvoir "casser du coco", réjouis d’envoyer des lettres anonymes à la Kommandantur pour pouvoir voler les biens de leurs voisins juifs ou résistants, et parfois juifs et résistants. Il était une fois les fonctionnaires de Vichy, les sous-préfets, et les préfets, et puis les hauts fonctionnaires, et puis les dirigeants réels de Vichy, les membres de la Banque Worms. Il était une fois, Maurice Papon, "secrétaire général de la préfecture de Gironde", à Bordeaux, la bonne ville d’extrême-droite où tout a commencé en juin 1940, dirigée alors par Adrien Marquet, le petit Adolf français. Il était une fois, un pays entier, aux mains des salauds, allemands, français, mais aussi géorgiens, ukrainiens (à lire prochainement un entretien avec Fabrizio Calvi, co-auteur de "Le Festin du Reich"). Et puis, malgré l’énormité des faits, les salauds qui montent dans le train du temps, et donc de l’oubli. Maurice, lui, va couler, pendant des décennies, des jours "heureux et tranquilles" (Madame Papon n’a rien su ou voulu savoir ?), et, sur la foi d’un vrai-faux certificat de résistance, va pouvoir prospérer, au point de devenir Préfet de Paris (la ville révolutionnaire n’a pas de maire depuis la Commune de Paris), de donner les ordres qui ont conduit à l’assassinat de deux cent algériens, assassinés par la police française; et puis de prospérer plus encore, au point de devenir Ministre de Giscard d’Estaing (lequel déclare dans l’extrait cité en lien : la France s’est moins
battue qu’elle ne voulait le croire (…) mais elle a moins
collaboré qu’on ne cherche aujourd’hui à le prétendre »), et de Raymond Barre. Jusqu’au jour où le Canard Enchaîné sortira des archives… Maurice Papon a fait le nécessaire pour mériter l’opprobre nationale. Mais Maurice Papon n’était qu’un seul homme, et l’immense activité de la collaboration sous toutes ses formes n’a pas fait l’objet d’un traitement sérieux et complet à la Libération. Des milliers de collaborateurs, qu’ils soient des assassins, des fonctionnaires, des chefs d’entreprise, ont réussi à ne jamais être inquiétés. Cette mémoire, ce devoir de mémoire, sont devant nous.
NB : l’extrait vidéo ci-dessus a été réalisé par les Editions Le Bord de l’Eau et fait partie d’un DVD en cours de réalisation