Lyonel Trouillot livre, avec La Belle Amour humaine (Actes Sud), un somptueux roman des voix, interrogeant
notre «présence au monde» (lire ici la critique de Patrice Beray). Placé
sous le signe du «réalisme merveilleux» défini par Jacques Stephen
Alexis – auquel le livre est dédié –, le récit peut se lire comme une
allégorie. Mais il est aussi profondément ancré dans le présent haïtien, ses
mutations, ses enjeux économiques comme politiques. Il s'agit, pour Lyonel
Trouillot d'écrire avec le réel, mais aussi contre lui, pour construire un
avenir. Rencontre, à quatre voix.(L'enregistrement complet de l'entretien est disponible sous l'onglet Prolonger)
On est frappé par la
construction de votre livre, une narration au récitatif, cette manière de croiser
les voix sur le mode de l'adresse poétique. Pourriez-vous revenir sur ce choix
d'écriture ?
Cela correspond à un point de vue général sur
l'écriture : ce qui m'intéresse dans les faux romans que j'écris, c'est de
donner de la voix à quelqu'un, et même à plusieurs quelqu'un. Et dans ce texte
en particulier dont le thème est l'altérité : c'est pour ça qu'il était
important pour moi que lorsque Thomas parle, le titre soit «Anaïse»
et que lorsque Anaïse parle, ce soit «Thomas», avec ce mouvement
dialectique. Ce principe de l'adresse est fondamental parce qu'il
implique deux personnes, celle qui parle et celle qui écoute. Quant à la
troisième partie, c'est ce moment où les voix se fondent dans un ensemble de
voix.Cela peut aussi
laisser supposer que ce sont des voix a
priori éloignées.Tout à fait. Il y a quelque chose à dépasser. J'aime beaucoup cette
phrase d'un poète haïtien, René Philoctète, «l'homme n'est jamais seul alors que je vous parle et
que vous m'écoutez». Pour moi, c'est l'échange essentiel : parler et
écouter. Dans le roman, la jeune fille vient d'ailleurs, il y a un abîme qui ne
peut être franchi que par le langage, l'écoute de l'autre.Ce que vous écrivez à
la fin du roman d'ailleurs, «il faut mettre sa part de voix». C'est
une manière de définir la «présence au monde» ?Oui, que pouvons-nous faire à part capter quelques
fragments ? Que dire dans ce grand concert de voix du discours
humain ? Pour parler il faut écouter l'autre, être en relation avec ce
qu'il ressent, ce qu'il pense. Aujourd'hui, le monde a évolué vers la droite,
et j'ai écrit un livre communiste, d'une certaine manière, pas au sens stalinien,
au sens noble. C'est pourquoi il est dédié à
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