Or, David Azéma, lui aussi, dirige une direction de Bercy qui est stratégique pour l’Etat. A la tête de l’APE, il faut un patron qui ait beaucoup d’expérience et de compétence. Un patron, donc, qui ait de la bouteille et qui ne change pas perpétuellement.
Or, c’est tout l’inverse qui advient. David Azéma n’est en effet directeur de l’APE que depuis le 1er septembre 2012 (le décret de nomination est ici). Et, très vite, à peine un an plus tard, des indiscrétions ont fait comprendre qu’il souhaitait rebondir ailleurs. En début d’année, il a ainsi été sur les rangs pour prendre la présidence de Veolia. Et comme cela ne s’est pas fait et que l’Etat a fait le carré autour d’Antoine Frérot, voilà que David Azéma lorgne sur Bank of America Merrill Lynch. Dans tout les cas de figure, le départ de ce haut fonctionnaire vers le privé, mois de deux ans après sa nomination, poserait donc au moins un problème éthique. Ce serait un signe de plus du mépris que certains hauts fonctionnaires, notamment ceux de Bercy, affichent pour l’Etat, quand bien même celui-ci a grandement contribué à faire leur carrière.
Ce mépris vient de très loin, et ce n’est pas David Azéma qui est ici seul en cause. Il est consubstantiel à ce système d’oligarchie auquel l’ENA a donné lieu et qui, avec les grandes vagues de privatisations des années 1980 et 1990, a irrigué tous les milieux d’affaires. C’est l’une des indignations qu’exprimait par exemple dans L’étrange défaite, écrit au creux de l’été 1940, juste après la Débâcle, l’historien et grand républicain Marc Bloch qui déplorait la tentation de soustraire à l’Université le soin de former les élites françaises. C’est effectivement le gouvernement de Front populaire, en la personne de son ministre de l’éducation nationale Jean Zay (1904-1944), qui a la malencontreuse idée d’exhumer un très vieux projet, déjà caressé en 1848, de créer une filière unique de formation des hauts fonctionnaires, en créant une Ecole d’administration – projet qui finalement bute à l’époque sur l’hostilité du Sénat et qui aboutit seulement en 1945. Mais en tout cas, le constat est celui-là : c’est effectivement la gauche qui dès cette époque porte l’idée de créer cette fameuse Ecole nationale d’administration, qui jouera ultérieurement, et singulièrement à partir des années 1980 et 1990, un rôle si détestable dans la propagation de la pensée unique néo-libérale.
Et, ce rôle funeste, l’historien en explique dès cette époque les ressorts, en prolongeant sa réflexion : « Quelle que soit la nature du gouvernement, le pays souffre si les instruments du pouvoir sont hostiles à l’esprit même des institutions publiques. À une monarchie, il faut un personnel monarchiste. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecoeur ». L’histoire de Jean-Pierre Jouyet ou de David Azéma est tout entière contenue dans cette sage maxime. Ralliant l’empire, Benjamin Constant (1767-1830) avait dit les choses avec moins de doigté : « Servons la cause ! Et servons-nous ! »
Depuis plus de deux décennies, Bercy entretient donc une chronique interminable, celle de certains de ces hauts fonctionnaires qui, formés désormais à l’école de la « pensée unique » néolibérale, ont un grand mépris pour l’Etat qu’ils sont sensés servir, et qui par flots ininterrompus, rejoignent dès qu’ils le peuvent le secteur privé et ses alléchantes rémunérations, stock-options et autres golden parachutes…
Et puis, le possible départ de David Azéma vers Bank of America Merrill Lynch agît comme un révéla
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