À Madrid, un jour d'avril 1931, le journaliste et écrivain catalan Josep Pla (1897-1981) remontait le Paseo del Prado de la fontaine de Neptuno jusqu'à la place de Cibeles et il vit un drapeau inhabituel, rouge, jaune et violet, sur le palais des Communications. La République avait été proclamée et les gens de Madrid réagissaient avec perplexité et enthousiasme. « On commence à entendre les premières notes de La Marseillaise. Ensuite, un groupe se met à chanter l'hymne de Riego. Le peuple ne connaît pas ces deux chants. Il chante faux. Peu connaissent les paroles. Ils chantent mal. C'est pas grave. Ils feront mieux plus tard », écrit Pla à propos de ces premières heures printanières du 14 avril 1931, jour de proclamation de la Seconde République espagnole, dans ses chroniques rassemblées dans le livre Madrid. El advenimiento de la Répública (Madrid. L'avènement de la République).
Pla a terminé au service du franquisme et est mort sans savoir que ce drapeau tricolore qui l'avait alors surpris est devenu le symbole de l'indignation collective plus de 80 ans après. Pour l'éducation publique, la santé pour tous, le droit au logement, contre les abus du capitalisme et la corruption : le drapeau républicain est le symbole commun des défilés qui inondent les rues espagnoles depuis quelques années au nom de l'égalité et de la justice.
Le dernier exemple date du 22 mars. Invoquant la dignité, des dizaines de milliers d'Espagnols mobilisés par des partis et des mouvements de gauche ont effectué à Madrid le dernier tronçon d'une marche qui dure depuis presque un lustre contre une crise économique bouleversant tout le système. Les drapeaux républicains ont flotté sur une foule de tous les âges dans les mêmes rues et aux mêmes carrefours de Madrid où Pla était surpris de l'impassibilité des policiers à cheval. Mais contrairement à ce mardi de 1931, cette fois la police ne s'est pas contentée de regarder.
Des milliers de drapeaux républicains ont été brandis dans les marches pour la dignité du mois de mars. © Saila Marcos
« Le drapeau républicain est devenu un symbole de la démocratie et de la dignité. Et il est même utilisé comme symbole contre la corruption. Cependant, ce serait très bizarre de dire aux gens que le mouvement des indignés (15M) ou la plateforme des victimes des hypothèques (PAH) ont leur origine dans la IIe République », affirme Pablo Iglesias Turrión, professeur de sciences politiques de l'université Complutense de Madrid. Ce jeune politologue dirige le nouveau parti Podemos (Nous pouvons), qui présentera ses premières listes aux prochaines élections européennes et qui est déjà un référent pour la nouvelle génération de jeunes antimondialisation, le mouvement des indignés et ceux qui luttent contre les mesures d'austérité. Bien que son profil cadre idéologiquement avec les nouveaux républicains du XXIe siècle, il ne s'y reconnaît pas : « Par la figure de mon père et celle de mon grand-père (commandant socialiste de l'armée populaire condamné à mort), oui, je ressens cette inspiration dans le projet inachevé de la IIe République, mais je ne crois pas que cela s
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