HD. Voilà trente ans que vous enquêtez chez les plus riches. Comment vous est venue l’idée de pénétrer dans l’univers très fermé de la grande bourgeoisie, en 1986 ?
Michel Pinçon. La plupart des sociologues travaillaient sur les plus démunis. Beaucoup avait été fait sur les logements insalubres, les quartiers défavorisés… mais rien sur les beaux quartiers.
Monique Pinçon-Charlot. Nous n’étions pas du tout de ce milieu. Alors nous avons commencé par le plus facile : nous balader dans les beaux quartiers. Notre directeur de laboratoire au CNRS, issu de la grande bourgeoisie de Neuilly, nous a ouvert les portes de sa famille. Progressivement, nous avons réussi à nous faire coopter. Nous avions acquis un capital social absolument extraordinaire ! Jusqu’à la publication de notre livre, en 2010 : « Le Président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy ». Là, on s’est fait virer. Ce n’était pas trop grave, nous avions eu le temps de comprendre leur fonctionnement.
HD. Qu’avez-vous observé d’emblée ?
M. P. Nous sommes toujours ici dans la reproduction des privilèges les plus arbitraires. Des privilèges qui se transmettent de génération en génération pour créer des dynasties familiales. Les riches veulent absolument préserver leur mode de vie. Ils concentrent toute la richesse et entendent bien la garder. Ils estiment donc qu’ils ont tous les droits.
M. P.-C. Les grands-bourgeois ne pensent jamais à leurs dissemblables. Ils n’ont pas accès à la culpabilité, à la mauvaise conscience. Dès qu’ils estiment ne pas être dans leurs bons droits, ils se positionnent en victimes. Du coup, ils sont extrêmement mobilisés. Sur tous les fronts. Il n’y a pas de petits combats. Ils sont formés pour rendre en permanence service à leur classe. Ils en ont le devoir. Certes, c’est plus simple pour eux : ils ne sont pas nombreux et se retrouvent sans cesse dans les dîners, les clubs, les cercles…
HD. Vous aussi, vous avez été introduits dans ces clubs, ces cercles…
M. P.-C. Oui. Autour de la table des dîners habituels, se retrouvaient toujours les représentants de tous les pôles dominants : un banquier, un journaliste – pas de « l’Humanité », mais plutôt de TF1 –, un industriel de renom, un artiste d’art contemporain, un grand chef d’exploitation, un professeur de médecine… et parfois des curiosités, comme nous ! C’est comme ça qu’un Nicolas Sarkozy a pu rencontrer Liliane Bettencourt.
M. P. Ce milieu social fonctionne au choix des personnes, tout passe par la cooptation. On choisit le membre du cercle, on vote sur candidature… Avenue des Champs-Élysées, se trouve le Travellers Club, dans l’hôtel particulier de la Païva. Tout le monde y parle anglais, même entre Français. Un jour, le secrétaire général de ce cercle m’a fait part de sa colère : les Champs-Élysées devenaient insupportables, avec ces gens qui mangent des sandwichs debout, ces touristes en short… Il ne comprenait pas. Mais une fois la porte de la Païva franchie, le même monde se retrouve. Idem lorsque vous passez l’entrée du cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg Saint-honoré. D’un coup, le tohu-bohu de la rue laisse place au calme. La sécurité sociale…
HD. Vous parlez du ghetto des riches. Vous en avez même fait un livre, « Les Ghettos du gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces ». Pourquoi un terme si fort ?
M. P.-C. C’est un ghetto car il y a une limite, une frontière pour protéger l’entre-soi. Mais un ghetto volontaire. Nous avons voulu ainsi montrer que les riches assument la rupture, ils revendiquent même cet ostracisme social. Dans notre premier livre, nous parlions d
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