«Les rédactions sont un accessoire pour les patrons» – Libération

Dans votre livre, vous justifiez l’appétit de ces milliardaires pour les journaux par la «satisfaction narcissique» que ça leur apporte.

J’en suis convaincu. C’est valorisant pour un grand patron d’être au capital d’un quotidien. En France, les rédactions sont maintenant un accessoire parmi d’autre de la puissance, au même titre qu’un domaine dans le Bordelais, un théâtre ou un jet privé. Mais, il y a aussi cette idée qu’en mettant les rédactions sous pression, sous mes airs de mécène, je suis un boucher.

Selon votre enquête, posséder un journal en déficit permet à ces patrons de payer moins d’impôts, grâce à une habile optimisation fiscale.

Je me suis longtemps demandé pourquoi ils continuaient à perdre de l’argent avec les journaux. J’ai creusé sur la question de la fiscalité des holdings, et j’ai découvert qu’aujourd’hui en France, c’est une fiscalité jackpot. Leur fonctionnement permet à Bolloré, Arnault, Pinault de payer moins d’impôts avec les pertes de certaines filiales, en imputant ces pertes au niveau des holdings de tête.

Pourquoi ce titre affirmatif et provocateur ?

Parce que je le pense. D’un point de vue technique, ils sont tous mauvais, parce qu’ils n’ont pas réussi à sauver la presse française et se sont englués dans un système de cogestion depuis plus de vingt ans, avec l’Etat et le syndicat du Livre, qui a prouvé sa faillite. Ils n’ont pas osé ni affronter l’Etat ni le syndicat du Livre, à tel point que je pense que l’Etat est depuis plus de vingt ans le véritable patron de la presse française, et en grande partie responsable du désastre. Mais ils sont aussi mauvais d’un point de vue moral : en maintenant la presse sous le boisseau, en lui donnant peu de moyens, ils ont contribué à la destruction des contenus.

La fin de votre livre évoque les fermes de contenus. C’est ce qui attend la profession ?

Il faut qu’on s’interroge sur le modèle économique et sur les attentes du public. Si on ne réfléchit pas, si on n’invente pas, on est condamnés à mourir ou à bosser dans des fermes de contenus, c’est-à-dire des contenus produits au kilomètre et à bas prix. Les journalistes doivent reprendre la parole. S’appuyer sur les lecteurs, trouver d’autres financements, trouver d’autres modèles. La question de la propriété des médias, de la propriété du capital, la question d’inventer de nouveaux formats, de nouveaux contenus, se passe désormais en dehors du monde des quotidiens. On invente tous les jours des médias – Charles, Causette, Rue89, Dijonscope, Mediapart, Arrêt sur images… C’est peut-être vers ça qu’il faut aller.

via www.liberation.fr

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