Ceux qui n’expriment ni rejet de l’immigration, ni de l’islam sont en nombre grandissant dans la société française, selon le travail de politologues. Portraits de deux de ces Français à l’aise avec l’altérité : un « bobo » marseillais et un « prolo » du bassin minier du Pas-de-Calais.La France déprimée, la France repliée, la France aliénée par ses peurs. Pas un jour ne passe sans que ce récit ne trouve sa déclinaison. Le lundi, Marine Le Pen marche inexorablement vers l’Élysée, foi d’un député PS. Le mardi, elle arrivera au moins en tête du premier tour de la présidentielle, foi d’un sondage. Le mercredi, les intellos seraient devenus de droite. Le jeudi, une enquête d’opinion est censée confirmer le bain ambiant de repli identitaire. Le vendredi, les « news magazines » secouent le tout dans leur shaker. Le samedi, on refait le compte des interventions médiatiques de Zemmour, Finkelkraut et Philippot. Le dimanche, le journal du même nom lance la semaine qui vient sur un « tempo » du même acabit que la précédente. La boucle est bouclée.
Le rejet de l’immigration et de l’islam constituerait la matrice de ce glissement à droite de la société française. Un travail de politologues vient contester cette théorie. Dans l’ouvrage Des voix et des votes. De Mitterrand à Hollande (Éditions Champ social), sous la direction de Vincent Tiberj, Antoine Jardin, maître de conférences à Sciences-Po, décortique les réponses des enquêtes d’opinion et bâtit une typologie dont ressortent quatre groupes.
Le premier est celui des « ethnocentristes ». « Ces personnes témoignent d’une attitude ethnocentrique globale, ils sont hostiles aux immigrés et à l’islam. » Vient ensuite le groupe des « xénophobes », qui stagne à un niveau assez faible (10 %), puis progresse légèrement sur la période récente : « Ces personnes considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France mais ils n’ont pas une opinion négative de l’islam et ne perçoivent pas cette religion comme une menace pour l’Occident. » Le troisième groupe est celui des « anti-islam », 25 % de la population en 2007, en léger déclin entre 2007 et 2012 : « Ils ne considèrent pas que les immigrés soient trop nombreux dans le pays mais jugent négativement l’islam. » Quatrième groupe, enfin : les pluralistes qui « n’expriment ni rejet de l’immigration, ni jugement négatif à l’égard de l’islam ». Portrait-robot par le politologue : « Il s’agit de la population la plus diplômée avec près de 80 % de bacheliers, mais aussi la plus jeune (60 % ont moins de 50 ans). Les athées y sont 46 %, contre 42 % de catholiques. Près de 60 % de ses membres vivent dans des villes de plus de 100 000 habitants. Les pluralistes sont en augmentation. Ils n’étaient que 10 % en 1995 mais atteignent 30 % en 2007 et 40 % en 2012. » L’ouverture culturelle serait de mise dans une partie grandissante de la société, le repli identitaire ne gangrène pas l’ensemble du corps social.
Interrogé par l’Humanité, le politologue Vincent Tiberj, qui a dirigé le livre, précise les ressorts de cette évolution : le niveau d’éducation et la cohorte des naissances. Premier point : chaque génération est plus diplômée que la précédente, ce qui l’amène, presque mécaniquement, à être plus ouverte. Deuxième point : les transformations démographiques deviennent tangibles. « 18 % de la cohorte des années 1970 sont immigrés ou d’origine immigrée », indique Vincent Tiberj, qui est en train de mener ses calculs sur les générations suivantes. « Pour un certain nombre de gens, la diversité est déjà là », précise-t-il.
Cette évolution de la société française, la fondation Terra Nova n’avait pas manqué de la repérer et de l’utiliser dans une
via www.humanite.fr