Les nouveaux chiens de garde, un entretien avec Gilles Balbastre & Yannick Kergoat, en attendant le film

Serge Halimi a publié Les Nouveaux chiens de garde en 1997, au sortir des grèves de décembre 1995. Le poids des « prescripteurs d’opinions » a-t-il évolué depuis ?

Yannick Kergoat : Pas suffisamment pour qu’on renonce à se battre sur ces questions. Ce qui a changé depuis 1995, c’est la crise de la presse, qui se traduit notamment par des réductions d’effectifs dans de nombreux journaux. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de la critique, au contraire. Régulièrement, il faut réarmer le fusil et tirer un nouveau coup de semonce. Entre la première publication des Nouveaux chiens de garde, l’édition complétée de 2005 et le film qui sort aujourd’hui, un vaste travail critique a été mené par des associations comme Acrimed ou des journaux comme Le Plan B. Cette filiation du combat politique sur la question des médias ne s’est jamais interrompue. D’autant que le phénomène médiatique est profondément lié à la politique en général et aux modèles de société dans lesquels on baigne. On ne changera les médias qu’en changeant la société, mais, pour changer la société, il faut aussi se libérer de l’emprise des médias.

Gilles Balbastre : Parmi les journalistes que nous avons ciblés il y a quinze ans, certains ont disparu, remplacés aussitôt par leurs équivalents plus jeunes, mais la plupart sévissent toujours. Les Giesbert, Durand, Ockrent, Attali ou Joffrin sont toujours là. Surtout, l’espace qu’ils occupent s’est élargi avec l’apparition des nouvelles chaînes de la TNT. Les crises – celle de 2008 et celle qui enfle aujourd’hui – n’ont pas abrégé leur mandat à vie. Les éditorialistes et les experts qui prônaient la dérégulation et martelaient la nécessité de la « réforme » ont contribué à entraîner le système dans le mur. Or, non seulement ils n’ont pas été éliminés pour faute grave, mais ils sont encore plus présents. Ils ont eu davantage encore de temps d’antenne pour commenter les crises d’un système dont ils ont tant fait la promotion.

La construction du film suit d’assez près le livre de Serge Halimi, mais avec son rythme propre. Comment êtes-vous passé du texte à l’image sans vous noyer dans la masse des archives ?

Y. G. : Un film est très différent d’un livre. D’abord, on a fait le choix d’un film de combat, qui ne prétend pas chercher la nuance en toute chose. On ne ment pas au public, on ne lui dit pas qu’en 1 heure 40 le film va brosser tous les aspects de la question des médias. On a fait un film pour réveiller les consciences, pour fournir au spectateur une arme dont il pourra se saisir pour aller lui-même au combat, dans toutes les luttes qui l’occupent, car, à notre sens, la question des médias intéresse toutes les composantes des luttes sociales. La fabrication de ce film nous a pris beaucoup de temps, il a fallu deux ans et demi de travail entre l’écriture de la première version du scénario et le résultat final. Le montage à lui seul a nécessité neuf mois de travail.

G. B. : Le film est aussi le résultat d’un travail collectif, celui d’une mouvance née du conflit social de 1995 et irriguée par les travaux de Pierre Bourdieu et de Serge Halimi. En quinze ans, ce groupe informel – que l’on retrouve dans PLPL, Le Plan B, Acrimed, Le Monde Diplomatique, Fakir… – a réuni une banque de données extraordinairement vaste. Sans ce méticuleux travail d’archivage, notre film n’aurait pas été possible. Le montage des « débats » télévisés sur LCI entre Luc Ferry et Jacques Julliard, par exemple, nous a été fourni par deux professeurs de français et d’histoire-géo, qui ont scrupuleusement enregistré et démonté chaque séance de bavardages des deux « intellectuels ».

Comment trier dans une masse d’archives aussi imposante ?

via lesnouveauxchiensdegarde.com

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