Ce lundi 23 septembre, à l'occasion de la présentation de la "Stratégie nationale de santé" par Marisol Touraine, Les matins de France Culture nous proposait une émission sur le thème de la santé (1). Si certaines réflexions sont dignes d'intérêt, je reste frappé par les ornières intellectuelles invisibles qui semblent écraser ces protagonistes de bonne foi, qui rendent impossible une pensée globale.
Pourtant à première vue les débatteurs sont loin d'être "les pires", il s'agit de Thierry Pech (directeur d'alternatives économiques), Stéphane Rozes (Président de Cap (Conseils,analyses et perspectives), enseignant à Sciences-Po et HEC), Didier Tabuteau (conseiller d’Etat et actuel responsable de la Chaire Santé de Sciences-Po), ainsi que Brice Couturier et Marc Voinchet (respectivement producteur/chroniqueur et animateur). Aucun doute, nous sommes en présence "d'experts", les titres ronflants nous annoncent même qu'il s'agit de personnages bien ancrés dans les institutions, de la légitimité à l'état brut.
Le ton est posé, les question érudites, le décor est planté pour une discussion entre personnes importantes, et qui "savent". C'est probablement de cette manière que la domination s'exerce le plus efficacement: en prenant les aspects de la compétence courtoise elle devient invisible et s'impose à nous comme une évidence.
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Didier Tabuteau propose de revenir à une prise en charge à 80% par l'assurance maladie obligatoire des dépenses de santé, et seulement 20% par les mutuelles (actuellement nous sommes autour de 56% pris en charge par la sécurité sociale). L'argument est bon, un euro dépensé dans les mutuelles est un euro inégalitaire (plus le patient est pauvre plus il a besoin de soin et moins il peut se payer une mutuelle correspondant à ses besoins) et moins "rentable" puisque l'assurance maladie a le coût de fonctionnement le plus faible. Il s'agit aussi d'instaurer un stabilisateur automatique en cas de déficit des comptes de l'assurance maladie, ce dernier entraînerait automatiquement une hausse de la CSG pour compenser. Ces propositions se trouvent également défendues dans la tribune de Frédéric Pierru et André Grimaldi parue dans Marianne (2).
Autant dire que ces propositions vont à contre-courant de la privatisation rampante, évoquée par Brice Couturier dans sa chronique, donc de l'idéologie divulguée par les gouvernements français successifs et la commission européenne. Elles ont donc l'apparence du révolutionnaire, malheureusement il s'agit bien d'apparences. C'est à dire que la réflexion est bornée d'emblée, la thématique de la santé étant discutée en l'isolant du contexte global, exactement de la même manière dont sont isolés successivement les thèmes suivants: la dette publique, l'extrême droite, les retraites, le chômage, la guerre, etc…
Finalement en isolant chaque sujet les uns des autres nous finissons par oublier ce qui pourrait les relier, phénomène exacerbé par les invitations "d'experts" spécialistes d'un seul sujet, qui renforce l'isolement de la réflexion sur une seule thématique qui semble du coup devenir insoluble.
En d'autres termes la problématique pourrait être reformulée ainsi: comment améliorer la santé de la population et réduire le déficit de l'assurance maladie par la même occasion sans remettre en question le cadre institutionnel, donc structurel, qui pourtant détermine cette même santé ainsi que le financement de la protection sociale? Ou pour paraphraser Einstein (3), comment résoudre un problème en conservant le système de pensée qui l'a engendré?
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Rappelons quand même quelques évidences, le chômage de masse, le "trou de la sécu", la "crise", tous ces sujets sont inscrits dans le langage courant depuis…30ans minimum. Pour ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 80 ces termes font parties du (non-) débat public depuis leur venue au monde.
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