Paradoxe : alors que la réforme du droit du travail sera discutée à l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines, celle-ci ne compte aucun ouvrier parmi les élus « du peuple ». Avec les employés, ils constituent pourtant la moitié de la population active française. Le syndicalisme demeure l’un des rares espaces qui leur offre une expression et une action collective. Le sociologue Julian Mischi a suivi des militants CGT d’un atelier de la SNCF dans une localité rurale en Bourgogne. Son ouvrage Le bourg et l’atelier bat en brèche plusieurs idées reçues : celle d’un syndicalisme agonisant ou corporatiste, et celle d’un monde rural qui n’aurait d’autres choix que de se replier sur lui-même. Entretien.
Basta ! : Pourquoi s’intéresser aux ouvriers dans le monde rural ?
Julian Mischi [1] : Je suis sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), ce n’est pas un hasard. Je travaille sur le principal groupe social des campagnes françaises : les ouvriers. Si on raisonne en termes de pourcentage dans la population active, les ouvriers constituent le groupe social le plus représenté : 32 % de la population qui vit dans les espaces ruraux est ouvrière, et seulement 6 % est agricole. À l’opposé des représentations que nous avons de la campagne, qui sont essentiellement liées au tourisme, aux espaces verts, aux activités agricoles. Elles sont diffusées par les élites urbaines et les élites agricoles.
Et pourquoi à la SNCF, où les travailleurs disposent encore d’une relative protection ?
Ce qui m’intéresse, c’est pourquoi certains ouvriers en viennent à adhérer à un syndicat, et comment cet engagement les transforme progressivement. Au début, j’ai pris contact avec des ouvriers agricoles et des métallos qui habitent dans une petite ville de Bourgogne où j’ai réalisé l’enquête. J’ai aussi rencontré les travailleurs des abattoirs, ou des supermarchés. Mais les cheminots sont en fait les derniers ouvriers encore relativement organisés dans cette localité.
Pourquoi adhère-t-on à un syndicat quand on est ouvrier cheminot ?
Avant, les cheminots se syndiquaient dès l’embauche. Il y a certains ateliers où cela fonctionne encore de cette manière, mais c’est de plus en plus rare. Les nouvelles générations adhèrent désormais plus tardivement, plusieurs années après l’embauche. L’engagement est aussi plus progressif. L’adhésion est aujourd’hui davantage liée aux problèmes que les salariés rencontrent au travail. Elles se nourrit des inégalités vécues dans l’atelier et du rejet d’un management agressif. Ensuite, progressivement, les adhérents découvrent un monde syndical qu’ils n’imaginaient pas. Le plus souvent, ils ne sont pas issus de familles militantes. Certains sont enfants de commerçants, de paysans, ou de cheminots non syndiqués. Plus que les valeurs transmises par famille, c’est ce qui se passe dans l’entreprise qui les pousse aujourd’hui à s’engager.
Et pour certains, les inégalités ressenties en dehors de leur travail…
Ces ouvriers cheminots bénéficient d’une stabilité de l’emploi mais ils sont insérés au sein de classes populaires plus précarisées. Effectivement, quand ils parlent de leur engagement, c’est aussi en fonction de la situation de leur compagne ou de leurs enfants, ou de ce qu’ils ont vécu dans leurs précédents emplois. Souvent, avant de devenir cheminots, ils sont passés par l’usine, la métallurgie, par des petits boulots dans
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