Sophie Lalanne était, sous son nom de jeune fille, Sophie Martin, directrice générale des études d'opinion de l'institut Ipsos, qu'elle a quitté (pour une retraite active), tout en en demeurant actionnaire. Elle revient ici sur «Le sondage qui dérange» (Libération), mené à bien par l'institut Harris et publié dimanche 6 mars par Le Parisien-Aujourd'hui, qui consacrait Marine Le Pen, donnée gagnante au premier tour des élections présidentielles avec 23% des suffrages, devant Martine Aubry et Nicolas Sarkozy, à égalité (21%). Un tel sondage avait été réalisé auprès d'environ 1600 personnes sur Internet, non sans incitation financière.
Que pensez-vous des sondages menés par les voies électroniques?
Sophie Lalanne: Internet relève du sondage auto-administré, c'est-à-dire sans la médiation de l'enquêteur. C'est du volontariat: le sondé décide de répondre (par Internet ou par la poste, là n'est pas le problème). Nous ne sommes plus dans l'optique de l'interviewé choisi par l'enquêteur, qui réagit lors d'un entretien en face à face ou au téléphone, marqué par une forme de spontanéité plus intéressante.
De plus, un sondage effectué avec un interviewé seul devant sa feuille ou son écran court le risque d'une réponse collective (qui répond réellement: l'interviewé, son entourage, un mélange des deux?), ce qu'exclut un sondage d'individu à individu. Enfin, les personnes âgées de 75 ans et plus, qui pèsent lourd dans la France d'aujourd'hui, sont électroniquement sous-équipées. Je ne suis pas sûre que celles qui bénéficient d'Internet soient représentatives de l'ensemble de cette population…
À quelle logique ce sondage vous semble-t-il obéir?Il s'apparente à un coup. D'abord, une seule hypothèse a été envisagée à gauche: Martine Aubry. Ensuite, cinq candidats ont été introduits à droite (Nicolas Dupont-Aignan, Hervé Morin, François Bayrou, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy), d'où un éparpillement des voix qui, mécaniquement, plombe le président sortant.
Vous aurez remarqué qu'une telle étude arrange tout le monde: Sarkozy se voit conforté dans sa stratégie visant à réduire les candidatures à droite (la véritable information, c'est que le président sortant n'atteint pas les 24%, ce qui rendra difficile sa réélection). Pour sa part, Marine Le Pen engrange ce que lui a rapporté sa surexposition médiatique depuis sa campagne pour prendre la tête de son parti il y a six mois (Elle cette semaine, Grazia la semaine dernière…). Enfin, de leur côté, les partisans de la suppression des primaires au PS ou d'un dévoilement rapide de Dominique Strauss-Kahn sont satisfaits…
Voilà donc à qui profite le sondage: le mobile vous apparaît-il politique?
Non, le coup dont je parle est médiatique (rivalité entre le JDD et l'édition dominicale du Parisien) et surtout commercial. Harris Interactive a tenté d'évincer l'institut CSA, dont Le Parisien était jusqu'à présent le client attitré. Les couples formés par les journaux et les instituts de sondages sont marqués par une certaine fidélité: L'Ifop est avec Le Journal du dimanche, TNS-Sofres avec Le Figaro, Ipsos avec Le Point, BVA avec Paris-Match, etc.
Mais il y avait eu Opinion Way?
Opinion Way s'est effectivement immiscé avec des sondages étonnants et pas toujours très nets, comme dans l'affaire des sondages de l'
via www.mediapart.fr