«Le Dépaysement» de Bailly, l’invisible de la France et le Bariol (dictionnaire baillien) | Mediapart

Un jour, loin de la France, il regarde un film,
«si français». Il s'agit de l'Amérique et de Renoir. Il n'est pas mal
à New York, il regarde un film à la télé. Point.

C'est «très français»,
il le ressent de façon aiguë, là, à New York (ce pourrait être ailleurs, question de
décennie; à la fin des années 1970, c'était souvent à New York que l'on allait
respirer). D'ordinaire, on pense qu'il s'agit là d'un coup de «mal du
pays», un manque fugitif. On oublie, cela ne tient qu'à un billet d'avion. Qu'est-ce que cette «émotion de la provenance»?

Bailly a laissé sédimenter
l'interrogation, sur cette
«appartenance et familiarité». Pendant trente ans (avec pas mal de textes,
de fragments venant s'inscrire dans le livre futur, d'année en année…). Il a pris le
temps, et paradoxalement, se retrouve sollicité, invité, happé aujourd'hui, par les
«questions-vous-en-pensez-quoi-du-moment», en les ayant devancées…

En 2008, travaillé
par cette idée de nation, allègrement rejetée ou ignorée par ceux qui se
réclamaient du militantisme autrefois, devenue centrale et défensive depuis, utilisée en 2007, il se met en route littéraire. Un vagabondage précis. Il se rend aussi bien en des lieux invisibles à force d'être connus, qu'invisibles parce que, dit-on généralement, «rien de spécial». Il sait
seulement que «si ce pays est
tellement lui-même, au fond nous ne le savons pas»
. C'est une quête
amicale, ce qui ne veut surtout pas dire complaisante, loin des «prouesses gastronomiques, du cartésianisme, du pays des libertés».

Dans l'intervalle, note-t-il, il y eut le ministère de l'Identité nationale, rien d'anodin,
mais le promeneur précédait le politique. Le précède toujours, souverain,
attentif à un rire, un mur, un panneau, une histoire, un savoir, un potager, l'affleurement d'une histoire dans une bourgade en léthargie. 

Qu'est-ce qui nous
tisse? Que voyons-nous de nous? Bien des lieux ont été visités, éliminés, d'autres ignorés, ce n'est pas un inventaire mais un parcours. D'autres endroits sont écrits, non en regard de leur côté
«signifiant» si cher aux journalistes, au contraire. Ici, les filets
et pièges d'une boutique bordelaise, là, une «plaine d'Alsace filant
droit vers le nord»
, un torrent contemplé, une fève venue d'Arles dans la poche, le train,
Bourges, Beaugency, Saint-Étienne, Nîmes, la Lorraine, la Lorraine comme on ne la dit jamais, 14-18 comme nous ne savons plus, cratères dans les bois cent ans après, loin du béton commémoratif… Le regard de Bailly, depuis longtemps, porte vers l'Allemagne, vers la Russie, plein est. Parfois, il fait halte dans des villes longées mille fois en train, dont il n'a jamais entraperçu que l'envers, derrière les fenêtres. Rien de systématique, une attention flottante qui s'éveille ici ou là, des «signaux».

via www.mediapart.fr

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