Le combat des Lumières est devant nous, Jean-Claude Monod

Par Jean-Claude Monod

Choc immense de l’attentat de Charlie Hebdo que l’on devrait plutôt qualifier de «massacre», comme l’observe Luz : des journalistes, des dessinateurs et des membres du journal abattus froidement pour, disent les tueurs, «venger le prophète» de l’affront d’avoir été représenté. A Paris, massacre méthodique d’auteurs pour des idées, des dessins, élimination (heureusement partielle) par les armes d’une rédaction, d’un journal. La France n’avait jamais connu cela. Elle avait bien connu des violences extrêmes invoquant la religion, il y a…  quelques centaines d’années. Mais celles-ci semblaient lointaines, oubliées.

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Des manifestants brandissent une série d'affichette revendiquant l'appartenance à une seule comunauté que l'on soit musulman, juif ou catholique. Photo : Bertrand Guay. AFP

Dans les réactions recueillies auprès de lycéens français après l’attentat à Charlie Hebdo, que ce soit dans les journaux ou par des ami(e)s enseignant(e)s qui s’en sont fait l’écho, un certain nombre d’élèves disaient: «on ne rigole pas avec la religion», «la liberté d’expression ne vaut pas si on offense la religion», «on n’a pas le droit de blasphémer», «on ne va pas laisser insulter le prophète, c’est normal de se venger», «on n’a pas le droit de caricaturer le Prophète»… Ces élèves — qui n’étaient pas tous musulmans —, comme d’autres personnes sur la Toile, ne justifiaient pas nécessairement les meurtres, mais leur trouvaient cette «bonne raison». L’accablement que suscite une telle réaction, qui suit le choc immense de l’attentat lui-même, conduit à penser que l’Ecole, les canaux de la diffusion du savoir, les intellectuels, nous-mêmes ne parvenons pas, aujourd’hui, à transmettre certains éléments philosophiques et historiques capitaux, que ceux-ci sont d’ailleurs à peine pris en compte par nombre de chercheurs et d’intellectuels qui colportent une vision tronquée de la laïcité et dans ses conditions de possibilité ou «nécessité», qu’il y a donc urgence à les rappeler et à les diffuser.

Ces éléments renvoient essentiellement aux Lumières et à leur combat pour la liberté de penser, et aux combats antérieurs et postérieurs pour décrocher l’Etat des Eglises. Et ces combats intellectuels, philosophiques, politiques, sont nés, eux-mêmes, d’expériences de violences théologico-politiques, de meurtres effectués (parfois par l’Etat) au nom de la religion, de tentatives d’intimidation ou d’écrasement de la liberté de penser. Je ne rappelle que quelques-uns de ces épisodes, que les philosophes des Lumières ont souvent cités comme des signes montrant d’âge en âge la nécessité de combattre la volonté d’hégémonie totale de la religion sur le champ de la pensée et des comportements. L’accusation de blasphème ou d’hérésie y était chaque fois au principe d’une violence, d’un meurtre ou d’une tentative de faire taire une pensée vraie.

. Giordano Bruno et l’infinité des mondes. Le savant italien, profus et prolixe, avait émis moult hypothèses audacieuses sur l’univers, Dieu, la Nature… Entre autres chefs d’accusation de son procès par l’Inquisition, sa proclamation de l’infinité des mondes était jugée hérétique parce qu’elle réduisait à peu de chose l’événement de l’Incarnation en un monde et un temps précis, il s’agissait donc, selon les actes du procès, d’un «blasphème» contre le Christ. Il est vrai que Bruno avait par ailleurs écrit que la seule incarna

via liberationdephilo.blogs.liberation.fr

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