L’Autre Histoire des USA, note 7, la nouvelle Dépression – Libération

Sa vie entière tient sur une table. Un grille-pain cabossé, qui ne lui appartient pas. Des boîtes de conserves qu’il récupère deux fois par semaine dans une église organisant des distributions de nourriture. Une vieille cocotte-minute aussi et des casseroles, qui lui servent à réchauffer ses plats. A 52 ans, Marc Luce n’a plus rien et il a du mal à trouver les mots pour le dire. Avant même d’ouvrir la porte de la pièce minuscule qui lui sert de logement depuis mai, au rez-de-chaussée d’une maison décrépie dans l’est de Sarasota (Floride), il s’excuse de «tout cela», sans trop savoir quoi ajouter. «C’est difficile d’en arriver là, lâche-t-il dans un souffle de voix, quelquefois, je ne réalise toujours pas.»

Il y a encore trois ans, Marc Luce était analyste dans une société d’informatique. Un salaire confortable, une femme, des enfants : le «rêve américain dans toute sa splendeur», comme il dit, dans une ville de l’ouest de la Floride où il fait bon vivre. Et puis il a été licencié avec la crise. «Ça a été la descente aux enfers. Tout s’est effondré. J’ai divorcé, j’ai tout perdu. J’ai résisté quelques mois mais je n’ai rien pu faire. En plus, j’avais des problèmes de diabète et des frais médicaux exorbitants. L’an dernier, en décembre, je me suis retrouvé à la rue, à dormir caché dans les parcs et les forêts. Aujourd’hui, on me prête cet endroit, mais je ne sais pas combien de temps ça va durer. Je ne sais plus où j’en suis. Jamais, je n’aurais pensé me trouver au fond du trou comme ça.»

«Une population sans repères»

En Amérique, on les appelle les «nouveaux pauvres». A la mi-septembre, le bureau du recensement national a estimé que plus de 2,6 millions de personnes avaient sombré dans la pauvreté en 2010. Aujourd’hui, 42,6 millions d’Américains vivent en dessous du seuil de pauvreté (1), soit le chiffre le plus élevé depuis cinquante-deux ans. Mais, derrière les statistiques, se cache une nouvelle réalité : celle d’une crise qui n’en finit pas, dans un pays où le taux de chômage reste bloqué au-dessus de 9%, et frappe de plein fouet une classe moyenne exsangue. «C’est un phénomène que l’on a du mal à imaginer, résume Bryan Pope, qui reçoit dans l’immense bâtiment de l’Armée du Salut de Sarasota. Les gens qui nous donnaient encore de l’argent en 2006 ou 2007 se présentent désormais pour demander des repas chauds. On sert 700 à 800 repas par jour, contre 500 l’an dernier. Et on est face à une population complètement déboussolée et sans repères, qui vivait jusque-là une existence sans nuages et qui se retrouve littéralement à la rue après des mois de détresse.»

La crise ne fait aucune discrimination géographique. A Sarasota, sous le soleil de Floride, les apparences sont trompeuses. Les très riches sont encore légion, avec maisons sur le golfe du Mexique à 10 millions de dollars et bateaux obligatoires. Mais, ici, la situation est aussi désastreuse qu’à Détroit ou à Chicago. Dans le comté, le chômage est au-dessus de 12%, une famille sur huit remplit les conditions pour obtenir des «coupons» gouvernementaux afin de se procurer de la nourriture gratuitement. Et environ 16% de la population vit dans la pauvreté. «Le plus alarmant, poursuit Bryan Pope, c’est que nous sommes face à un cercle vicieux, car c’est bien ceux qui étaient le moteur de l’économie il y a peu qui sont sur le carreau. Ici, tout dépend du tourisme, du bâtiment et des industries de service qui sont en berne. Si ça continue, il ne restera que les très riches et les très pauvres. La classe moyenne aura disparu. Et ce sont des familles entières qui souffrent.»

via www.liberation.fr

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