Vous montrez dans votre livre que les médias participent à accroître le sentiment d’insécurité. Est-ce une tendance nouvelle?
Les recherches prouvent que la presse écrite, dans le dernier tiers du XIXe siècle, faisait déjà ses choux gras de la violence. En revanche, d’autres travaux plus récents, comme la thèse de Claire Sécail, montre qu’il y a eu un tournant concernant la télévision. Dans l’après–guerre, la télé considérait le fait–divers comme un produit qui n’était pas noble. Petit à petit, ça a basculé et c’est devenu prédominant aujourd’hui.Comment évaluez-vous l’impact de cette violence dans les médias?
On ne peut pas le mesurer. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ce n’est pas qu’un voyeurisme anodin. Par exemple, dans mes entretiens, il m’est arrivé à plusieurs reprises de cerner l’impact du traitement de faits–divers sur la peur des gens. Actuellement, il y a le procès aux assises de Manuel Ribeiro Alves Da Cruz, le violeur récidiviste de Milly-la-forêt, accusé d'avoir enlevé, violé et assassiné une joggeuse en 2009. J’avais observé sur un petit groupe de femmes un impact évident sur leurs peurs. Ce n’est pas un impact général massif, mais chez des gens qui ont déjà une vulnérabilité, ça l’accentue.Pourtant, nous n’avons pas, dans les médias français, la culture du trash, des tabloïds, que l’on trouve par exemple dans les pays anglo-saxons…
C’est vrai, et on peut s’en féliciter. On ne publie pas en France des trombinoscopes de violeurs. Mais le traitement médiatique français des faits-divers reste dommageable, car les journalistes veulent trouver une analyse profonde de tout fait-divers, en faire un fait de société, trouver ce qu’il révèle de l’état du pays. Or, ça ne révèle pas toujours quelque chose. Typiquement, sur Milly-la-forêt, le malade mental violent qui tue une inconnue dans ces conditions, statistiquement c’est l’exception qui confirme la règle.Comment expliquez-vous ce traitement?
Il y a évidemment une recherche d’audimat. Ce qui choque, ce qui est anxiogène, fascine les téléspectateurs et les lecteurs. Et l’inflation des médias entraîne l’inflation d’informations anxiogènes.L’accélération du temps médiatique, avec Internet et les chaînes d’info permanente, a-t-elle eu une influence?
Le temps d’intérêt pour une information, une histoire, est beaucoup plus court. Prenez Charlie Hebdo: ça n’aura retenu l’intérêt de tout le monde qu’une journée. Il faut donc trouver sans cesse de nouvelles histoires, et des homicides, il y en a environ 800 par an, plus de deux par jour… Donc de quoi nourrir les journaux. Cela ne signifie pas qu’il y en a plus qu’avant, mais qu’on les relaie davantage.Dans votre essai, vous expliquez aussi que la rapidité des nouveaux médias implique un manque de rigueur…
J’ai entendu des journalistes obligés de traiter des faits-divers sans faire d’enquête, en racontant tout ce qu’ils pouvaient trouver, et qui étaient dans une quasi-souffrance professionnelle de devoir ainsi traiter leur sujet. La rapidité
via www.20minutes.fr