Fort de la reconstitution de ses
réserves dès 2002, Buenos Aires a négocié sans états d’âme la restructuration
de la dette, au tiers de sa valeur. En 2006, elle a ainsi remboursé crânement
par anticipation sa dette de 10 milliards de dollars au FMI, pour se libérer
d’une tutelle honnie et affirmer son indépendance.Un an avant, les trois
quarts des créanciers privés (très diversifiés) avait accepté le deal.
L’Argentine a attendu juillet dernier pour proposer aux autres (20 milliards de
dollars de créances) un nouvel accord un peu plus favorable — une moins-value
de 50% — qu’ils ont été de nouveau 70% à accepter. Quant aux négociations
sur la créance du Club de Paris (7,5 milliards de dollars) bloquées depuis
plusieurs années en raison du refus de l’Argentine de laisser le FMI auditer
ses comptes, elles devraient démarrer enfin, le Club de Paris ayant,
semble-t-il, fini par accepter de se passer de l’avis du Fonds. Une bonne
nouvelle pour l’Argentine, qui, ayant restructuré plus de 90% de sa dette, devrait
bientôt pouvoir se financer de nouveau sur les marchés internationaux.Avec les entreprises étrangères
aussi, Nestor Kirchner s’est montré inflexible. De grandes entreprises
françaises comme Suez, EDF ou France Telecom, qui s’étaient jetées sur les
concessions de service public lors des privatisations de Carlos Menem, se sont
retrouvées dans l’impasse après la dévaluation, leurs dettes restant libellées
en dollars et leurs recettes en pesos, d’autant plus réduites que toute hausse
de tarifs a été exclue d’emblée par Buenos Aires. Elles n’obtiendront rien et
partiront plus ou moins piteusement.Le bras de fer entre Suez, qui
gérait la distribution d’eau de Buenos Aires, durera même jusqu’en 2005. Les
plaintes déposées au Cirdi, l’instance d’arbitrage international de la Banque
Mondiale, se multiplient, et le gouvernement Kirchner les ignore superbement.
Cette brutalité n’a néanmoins pas longtemps refroidi les investisseurs, attirés
par les taux de croissance du pays et la reconstitution du marché intérieur.Le
système «K»Parallèlement, les «K» (Nestor et son épouse Cristina, qui
lui a succédé en 2007) ont multiplié les initiatives de relance de la
consommation, entre programmes sociaux et soutien de l’emploi, souvent à coups
de décrets. Parmi les mesures sociales les plus populaires, la
renationalisation des retraites, une allocation universelle pour enfant créée
en 2009 qui a bénéficié à 4 millions d'enfants
pauvres selon Buenos Aires — enrichie cette année d’une allocation pour les
femmes enceintes en difficulté — ou la réforme de la loi sur les
faillites.Dernière mesure en date: l’obligation pour les entreprises
implantées en Argentine d’équilibrer leurs importations avec des exportations
ou, à défaut, des investissements dans le pays. Objectif: défendre, en ces
temps troublés, l’industrie nationale et, surtout, l’excédent commercial,
source vitale de devises pour le pays. «Les Kirchner incarnent l’essence
même du péronisme, estime un bon connaisseur du pays : un mélange
de nationalisme antiaméricain, de caudillisme, d’interventionnisme d’Etat et de
populisme, fortement teinté de protectionnisme».C’est tout ce que les économistes de banques ou de l’OCDE
détestent, qui prédisent périodiquement la rechute de l’Argentine.A tort jusqu’à présent. A quelques jours des élections
générales du 23 octobre prochain, le système «K» parait plus fort que jamais.
La présidente sortante Cristina Kirchner, 58 ans, est créditée par tous les
sondages de plus de 50% des voix, score qui lui permettrait même de se passer
de second tour. La plupart des analystes expliquent cette popularité, certes
par la division de l’opposition et par son réel charisme (accru depuis la mort
brutale de son mari il y a un an) mais avant tout par son bilan économique et
social.
via www.slate.fr