« La Sécurité Sociale », par Colette Bec – Page 1 | Mediapart

Le débat actuel sur la protection sociale ressemble surtout aujourd'hui à un jeu de dupes, aussi bien à droite qu'à gauche, aussi bien chez les syndicats qu'au sein du patronat. D'un côté, on proclame son attachement aux principes de 1945, lorsque la Sécurité sociale fut créée, sous l'impulsion, notamment, de Pierre Laroque. De l'autre, on accepte ou encourage le détricotage d'un système d'organisation et de représentation de la société qui est pourtant aussi une façon de penser la démocratie.

Pour Colette Bec, professeur de sociologie à l'université Paris-Descartes, qui vient de publier La Sécurité sociale – Une institution de la démocratie (éditions Gallimard), les mutations économiques et démographiques, « parce qu'elles ne sont pas politiquement affrontées, vont accélérer les dysfonctionnements antérieurs et les porter à un niveau tel que l'approche libérale et gestionnaire, jusque-là restreinte à des cercles proches de la sphère économique, se diffuse largement et rapidement à l'ensemble de la société ».

Pour elle, la critique de l'actuel système de protection sociale, effectivement tissé d'incohérences et d'errements, « donne crédit aux “solutions de bon sens” proposées », au premier rang desquelles une séparation des fonctions d'assurance et d'assistance/solidarité, un accroissement de la responsabilité individuelle et une ouverture au privé.

Dans l’histoire de la protection sociale, si l'on considère la période qui s’ouvre à partir de 1981, on ne perçoit guère de différences flagrantes entre les politiques menées par les gouvernements de gauche et ceux de droite. Comment l’expliquez-vous ? Existe-t-il un consensus de fond sur ce que doit être cette protection sociale ?

La gauche a, incontestablement, dès son arrivée au pouvoir, porté un certain nombre de mesures sociales au nom de la solidarité et de la justice sociale. Pour mémoire, la retraite à 60 ans, la revalorisation du Smic, des allocations familiales, etc. Pour autant, très rapidement, avant même le tournant de la rigueur, un certain nombre de décisions jettent le doute sur le sens de sa politique.

Il suffit de rappeler comment Nicole Questiaux, ministre de la solidarité nationale en 1981, a été remerciée dès juin 1982 après avoir déclaré qu’elle ne serait pas la « ministre des comptes ». Pierre Bérégovoy, qui lui succède, assume de l’être. De même, en 1984, la réforme de l’indemnisation du chômage portée par celui-ci consistera à créer, de fait, une catégorie d’inemployables, relégués dans une gestion assistancielle. Autant de signes d’une logique gestionnaire, confirmée par la suite et bien partagée par la gauche et la droite. Force est de constater que la différence se situe davantage au niveau du discours : la gauche faisant un plus grand usage du vocabulaire de la « solidarité ».

De fait, cette logique gestionnaire fait figure de présupposé d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. La Sécurité sociale, comme beaucoup d’autres services publics d’ailleurs, a basculé dans un horizon d’interrogations à dominantes, pour ne pas dire exclusivement, économiques et gestionnaires.

Pour les syndicats, le patronat ou les responsables politiques, l’invocation des principes de 1945 constitue un refrain obligé, même lorsque les pistes de réformes envisagées sont antagonistes. À vous lire, ce moment initial n’est pourtant pas forcément bien compris.

Je ne sais pas si l’on peut dire qu’ils ne l’ont pas compris ; peut-être certains de ces acteurs ont-ils trop bien compris les enjeux, et les risques, dont ces principes étaient porteurs. C’est clair en tout

via www.mediapart.fr

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