En apparence, la vie n'a que peu changé depuis le début du soulèvement contre le régime de Bachar el-Assad.
Les gens se promènent dans la rue, les magasins sont ouverts. D'immenses drapeaux ont fait leur apparition place des Omeyyades et des Abbassides, un stade a été transformé en caserne.
Certaines administrations ont affiché des caricatures telles qu'un Satan américano-sioniste en train de partager le gâteau syrien avec des diablotins armés de longs glaives sur lesquels on peut lire : BBC, France 24, Al Arabiya, Al Jazeera (chaînes qui diffusent les vidéos envoyées par les manifestants).
A la radio, les présentatrices imperturbables, continuent à faire porter la responsabilité des crimes à des mystérieux « infiltrés », qui tireraient sur les manifestations anti-régime et sèmeraient la zizanie entre les Syriens au profit de l'étranger.
« Infiltrés » : ce mot a acquis une célébrité sans pareille ici, et fait l'objet de nombreuses blagues. « Ah, mais en fait, c'est toi l'infiltré ! Pourquoi tu t'infiltres dans ma cuisine ? » plaisante-t-on. C'est dire le crédit porté, par un très grand nombre de gens, à la propagande d'État.
« L'éternité n'existe pas, la Syrie vivra, Assad tombera. »
Toute la journée, les sirènes des ambulances parcourent la ville. Elles viennent des quartiers soulevés, ou se dirigent vers eux.
A tout moment, le passant est harcelé par les manifestations pro-régime, souvent constituées d'une poignée de gens, qui scandent « Abou Hafez ! Abou Hafez ! » et frappent trois fois dans leurs mains.
Abou Hafez, c'est Bachar el-Assad : fils de l'ancien président et père du prochain. La boucle est bouclée, l'éternité, refermée. Réponse radicale aux aspirations à la liberté.
Dans le camp d'en face, à Hama, avant l'entrée des chars il y a quelques jours, une foule innombrable chantait chaque vendredi place de l'Oronte :
« L'éternité n'existe pas, la Syrie vivra, Assad tombera. »
Les manifestations pro-régime peuvent faire leur apparition dans n'importe quel lieu public, un bus, un restaurant, prenant en otage tous ceux qui s'y trouvent. La chaîne d'Etat et la chaîne Al Dounia filment les passants dans la rue pour montrer « la vie normale ».
Une jeune femme raconte ainsi qu'elle est passée sur la chaîne officielle, alors qu'elle se hâtait… sur le chemin d'une manifestation…
« La liberté commence par le respect du régime »
Sur d'énormes panneaux publicitaires s'étalent des « réponses » aux slogans de la révolution.
Toute une campagne est ainsi organisée pour enseigner au peuple comment il doit comprendre le terme « liberté ». Sur ces panneaux, on voit apparaître le mot, de loin, en immenses lettres bleues. Puis, en lettres plus petites et de couleur plus discrète, de sorte qu'on ne les voit qu'après s'être rapproché, vient la suite de la leçon.
Cela donne, par exemple, selon mon souvenir :
« LA LIBERTE ne commence pas par des slogans, mais par le respect des lois
LA LIBERTE ne commence pas par le chaos, mais par la responsabilité
LA LIBERTE ne commence pas par la destruction des biens publics, elle commence par le travail »Cette campagne n'est pas la seule en son genre. Il suffit d'un trajet en ville pour être littéralement abruti par toute la littérature déversée par le régime sur les citoyens.
Les contre-manifs suivent les manifs
Le vendredi, pas âme qui vive dans la rue. Le silence règne jusqu'à l'appel à la prière de l'après-midi (vers 13 heures). Après quoi, suivant le lieu où l'on se trouve, on peut commencer à voir passer des ambulances et de grands bus poussiéreux, par dizaine
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