Nadia Chahed, 32 ans, n’a pas réussi à pondre une ligne depuis samedi. «J’ai plein d’idées, mais j’ai peur de ne pas être à la hauteur. A partir du moment où on est libre, je me dis qu’il faut écrire très bien. On s’est tellement habitués à cette langue de bois», confie-t-elle. Elle aussi raconte la surenchère des dernières années, avec des photos du Président et de sa famille de plus en plus nombreuses dans le journal, des statistiques inventées, toujours positives. Elle raconte un quotidien qui n’a pas parlé des émeutes qui secouent la Tunisie depuis plus d’un mois ou de l’immolation de Mohamed Bouazizi, ce jeune diplômé chômeur qui a donné le coup d’envoi au mouvement. Nadia parle aussi du système de faveurs pour les journalistes les plus fidèles au régime. Des primes de productivité, de nuit ou du dimanche, qui étaient plutôt des primes de zèle.
Ailleurs aussi, les autres médias grignotent de nouveaux espaces de liberté. A la télévision tunisienne, les journalistes ont également mis leurs anciens dirigeants au placard. La télévision TV 7 a légèrement modifié son logo. Des Tunisiens y interviennent en direct à longueur de journée. Même la TAP (Tunis Africa Press), l’agence de presse officielle, parle désormais des Tunisiens qui descendent dans la rue pour manifester contre le maintien du RCD au gouvernement. Un vent de liberté souffle. «On ne veut pas de règlement de comptes avec les responsables, on veut profiter de ce vide politique pour prendre un maximum de liberté», confirme Chokri ben Nessir, journaliste politique. Blouson de cuir noir et cheveux grisonnants, lui aussi a vu ses articles censurés de plus en plus souvent ces dernières années ou modifiés jusqu’à devenir incompréhensibles. Derrière lui, de grands classeurs rangés dans un vieux placard marron compilent les anciennes éditions de la Presse. Au loin, on entend les tirs en l’air de la police qui tente de disperser les manifestants. «On veut être plus proches des Tunisiens, nous avons beaucoup de choses à rattraper, poursuit Ben Nessir. On peut accuser tous les journalistes de complicité passive avec le régime. Certes, on protestait ailleurs, dans les bars ou les cafés, mais on n’a jamais été solidaires les uns des autres. Là, c’est l’occasion.» Chokri montre la une de la Presse de Tunisie du 14 janvier, le jour où Ben Ali a quitté le pays après une manifestation gigantesque dans la capitale. En gros caractères noirs, on peut lire : «Ben Ali : Je vous ai compris tous, je vous ai tous compris.» A côté, une grande photo de Zine el-Abidine Ben Ali souriant d’inconscience.
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