Lorsqu’il vous raccompagne jusqu’à la porte, Jean-Christophe Bailly vous conseille de regarder les pierres, en bas. Récupérées lors de la destruction de la Bastille, elles servirent à l’édification de son immeuble. Elles sont bien là, d’une impressionnante épaisseur, cette teinte claire que l’on retrouve dans les gravures de l’époque, même si notre imaginaire, depuis, les a assombries. Vous êtes passés devant sans les voir.
La Phrase urbaine, tout comme le fut il y a deux ans Le Dépaysement ( prix Décembre 2011), c’est d’abord cela : un réapprentissage du regard, y compris sur le plus familier lors de nos déplacements utiles. Cette fois, la flânerie est urbaine – qu’il s’agisse de Rome, Roubaix, New York, Le Creusot, Berlin ,Tokyo, Saint-Denis, Arcueil, Lisbonne ou Saint-Nazaire –, se fait plus analytique, un mouvement entre impressions et pensée. Elle est aussi voyage temporel. La plupart des textes rassemblés dans La Phrase urbaine, en effet, sont issus de publications antérieures et éparses. Et aussi de marches « discontinues, émerveillées et éreintantes », pendant trente ans.
« La promenade n’a pas besoin d’être enseignée », écrit Bailly au début du livre. Est-ce si sûr ? « Non seulement pour les architectes, les urbanistes, mais en gros pour tous les responsables, il devrait y avoir des cours de lenteur, de ralentissement. Pas du tout des cours de méditation, comme dans ces boutiques qui s’ouvrent maintenant, mais apprendre, oui, à prendre le temps de lire. »
C’est d’ailleurs, entre autres, ce qu’il transmet à l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois : « On essaie d’enseigner aux étudiants à être, dans un premier temps, presque passifs, à laisser les choses se déposer. Un petit peu comme si on était – même si c’est impossible – une surface sensible. Ensuite en développant cette photo, en l’interprétant, on peut voir comment transformer, mais jamais en intervenant brutalement. »
La brutalité a eu lieu, cependant. Elle a toujours cours et n’est pas ignorée. Passent dans le livre, le baron Haussmann, bien sûr, mais aussi – comme conception sinon comme réalité, le Plan voisin imaginé par Le Corbusier, puis les Grands ensembles de l’après-guerre, la « modernisation » urbaine des années 1960, mais aussi, plus subtile, comme une arthrose, la muséification des centres-villes, « toujours, spécialement dans le paysage urbain, le rôle terrible de la spéculation, la mise en avant des intérêts économiques à court terme », et aujourd’hui, l’extension urbaine : « Ce paysage abandonné est notre paysage. De quelque manière et à quelque échelle qu’on l’aborde, il s’impose comme une masse composite aux traits flous et aux prises incertaines. »
C’est ici qu’il faut prêter att
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