Hongrie : l’histoire national-idéaliste de Viktor Orbán – Libération

Ce soir-là, au théâtre Radnóti, scène cotée de la capitale hongroise, on joue le Ciel étoilé. Cette comédie des frères Mohácsi, connus pour leur critique du pouvoir, dépeint les tribulations d’une troupe de comédiens. Peu après le début, dans un bruit de perceuse et un nuage de poussière, un ouvrier du bâtiment surgit d’un trou qu’il vient de forer sous la scène. «Mais qui êtes-vous ? Ici, c’est un théâtre !» s’exclame une comédienne. «Je travaille pour la Société de construction du passé», répond l’homme. Avalanche de rires. La scène est burlesque, mais pas très éloignée de la réalité, selon János Mohácsi, coauteur et metteur en scène : «Le Premier ministre, Viktor Orbán, réécrit l’histoire, c’est indéniable. Il réhabilite le régime du régent Horthy.»

Symbole de la renaissance nationale après l’effondrement de l’empire austro-hongrois en 1918, l’amiral Horthy incarne aussi un pouvoir autoritaire et féodal qui vota la première loi antijuive d’Europe. «Orbán, fustige János Mohácsi, a fait ériger un monument qui falsifie cette époque.» L’édifice, très controversé, a été achevé en catimini, de nuit, le 20 juillet, et n’a pas été inauguré pour éviter d’éventuelles manifestations (lire Libération du 16 avril). Bordant la place de la Liberté, au cœur de Budapest, il affiche sa pompe néokitsch avec ses colonnes massives en demi-cercle ; un aigle de bronze déploie une aile menaçante sur l’archange Gabriel, symbole de la Hongrie innocente. On y lit : «En commémoration de l’occupation allemande, 19 mars 1944» et «En commémoration de toutes les victimes».

«Acte de bravoure créative»

En 1944, l’amiral Horthy, bien qu’allié à Hitler, cherchait à négocier secrètement une paix séparée avec les Alliés. Mais Eichmann et ses hommes s’installèrent à Budapest pour l’en empêcher et, dès lors, le gouvernement hongrois coopéra pleinement avec les Allemands dans la déportation de près d’un demi-million de Juifs. Le mémorial tait ces faits et rend hommage, selon Viktor Orbán, à la Hongrie victime du IIIReich et à ses citoyens de toutes confessions. «Didactique», «précis» et «pur», il est un «acte de bravoure créative», a plaidé le Premier ministre dans une lettre ouverte le 6 mai.

Toute une nation opprimée par l’envahisseur ? «99% des victimes étaient des Juifs déportés par des autorités hongroises enthousiastes […] qui se sont assurées que tous avaient réglé leurs factures d’eau, de gaz et d’électricité avant de les embarquer», s’indigne l’historien Krisztián Ungváry. Quant à la population hongroise, qui a reçu en butin les biens de centaines de milliers de Juifs, «il est peu vraisemblable qu’elle se soit sentie opprimée», ajoute-t-il.

L’Américain Randolph Braham, éminent historien de l’Holocauste dont il est un survivant, a dénoncé, dans une lettre largement diffusée, «une lâche tentative […] de mettre sur le même plan les souffrances des Hongrois causées par l’occupation et l’Holocauste ; non seulement les Hongrois ne se sont pas opposés à l’occupation allemande, mais ils l’ont applaudie». Certes, plusieurs personnalités – mais pas Orbán – ont reconnu la responsabilité de l’Etat hongrois dans l’Holocauste. «Mais l’édifice est là pour durer et il parle beaucoup plus fort que tous leurs discours», soupire Gábor Gyáni, historien membre de l’Académie des sciences.

via www.liberation.fr

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