Les lettres que l’un des plus grands criminels du XXe siècle échangeait avec sa «bonne petite femme» sont aujourd’hui publiées, 69 ans après son suicide en avalant une capsule de poison après son arrestation. Chef des SS et de la police allemande, Heinrich Himmler avait été chargé, par Hitler, de la persécution et de l’extermination des juifs d’Europe. Pendant qu’il organisait les transferts, les assassinats et la Shoah par balles, il avait donc eu le temps d’écrire à sa femme alors qu’il parcourait dans son train spécial la Pologne occupée – «Dans les jours qui viennent, je serai à Lublin, Zamosc, Auschwitz …» – pour faire tourner toujours plus vite la machine à tuer. Quelque 700 lettres paraissent simultanément en France et en Allemagne : Heinrich Himmler, d’après sa correspondance avec sa femme. 1927-1945 (éditions Plon). L’itinéraire des lettres reste flou, récupérées semble-t-il par des soldats américains au domicile des Himmler, elles réapparaissent soudain, après de mystérieuses péripéties, dans un coffre privé en Israël…
Cette correspondance a priori sans grand intérêt littéraire ou historique a été formidablement remise en perspective par l’historien Michael Wildt, le spécialiste du national-socialisme à l’université Humboldt à Berlin, et Katrin Himmler, politologue, petite-nièce de Heinrich Himmler et déjà auteur d’un livre sur sa famille (Les Frères Himmler, histoire d’une famille allemande). Nous avons demandé à Michael Wildt d’éclairer cette plongée hallucinante dans la grande banalité des pensées d’un personnage monstrueux.
Pourquoi publier toutes ces lettres d’un assassin fanatique ? Est-ce utile à l’histoire ?
Dans ce livre vous avez ce que les historiens appellent une «source directe» d’un des plus grands génocidaires de l’histoire: c’est le criminel nazi dont on a le plus de documents à titre privé. Cela ne change pas l’histoire de la Shoah, on n’apprend rien sur le mécanisme de décision de la Solution finale, mais c’est Himmler qui a mis en œuvre la Shoah, et on voit comment ces actions sont perçues par les exécutants eux-mêmes. Quelle sorte de vie ils s’étaient planifiée. On constate, à travers ces lettres, qu'Himmler s’était construit une image idéalisée, qu’il se voyait comme un mari parfait, un père parfait et un parfait exécutant du national-socialisme. Il s’auto-proclame «héros» du IIIe Reich.
L’intéressant c’est qu’il n’est pas particulièrement sadique, ce n’est pas un monstre pathologique. Ces lettres sont celles d’un jeune bourgeois ordinaire, d’un type cultivé, qui lisait Homère et Aristote. Et un homme aussi éduqué peut devenir un assassin de masse au nom d’une «mission».
Retrouve-t-on là l’idée de la «banalité du mal», énoncée par la philosophe Hannah Arendt à propos d’un autre organisateur de la Solution finale, Adolf Eichmann ?
Non, il n’est pas «banal» au sens d’Hannah Arendt qui voyait, à tort, Eichmann comme un petit maillon de la chaîne, une pièce de la machine, incapable de se représenter les conséquences de son action. Himmler est celui qui a construit la machine. Ce n’est pas la banalité du mal, c’est l’ingénieur. Eichmann ou Himmler sont très dangereux parce que ce ne sont pas des criminels normaux qui savent qu’ils sont des criminels. Ces chefs hitlériens n’ont pas le moindre doute sur ce qu’ils font, et ils sont fiers de faire un «travail parfait». Himmler en ce sens est représentatif de sa génération nazie qui pense avoir une tâche historique à accomplir: construire l’empire germanique et en vider les juifs .
Ce qui frappe, dans ces centaines de lettres, c’est le non-dit, le silence, à quelques exceptions près le couple Himmler ne parle jamais des juifs…
Lui et sa femme Marga n’ont pas besoin d’en parler, ils comprennent la mission, il n’y a aucune séparation entre l’act
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