Qu'est-ce qui a rendu possible l'explosion des violences policières du 17 octobre 1961? Dans son livre qui vient de paraître, La Police parisienne et les Algériens (1944-1962) (Nouveau monde, 2011), l'historien Emmanuel Blanchard, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), prend à bras-le-corps cette question en décrivant l'emprise policière sur les Algériens émigrés en métropole après la Seconde Guerre mondiale. Pour comprendre ces exactions sauvages, il élargit le regard aux deux décennies antérieures et analyse, grâce à un travail d'archives fouillé, la manière dont les pratiques des fonctionnaires chargés de la sécurité ont contribué à la création d'un «problème nord-africain».
Portraits de femmes proches du FLN fichées par la police, vers 1960. ©Archives nationales d'outre-mer.Sa quête l'a conduit principalement aux Archives de la préfecture de police et au Centre historique des archives nationales, où se trouvent les dossiers du ministère de l'intérieur. Elle est d'autant plus intéressante qu'elle témoigne du rapport établi avec une population aux marges du national.
Car, à la Libération, les colonisés algériens acquièrent un nouveau statut. Ils deviennent, dans la terminologie administrative, des «Français musulmans d'Algérie». Autrement dit, pas des Français comme les autres, mais privilégiés par rapport aux immigrés de nationalité étrangère. Juridiquement, entre 1947 et 1962, en métropole, ils sont considérés comme des citoyens de plein droit. Ils peuvent circuler sans passeport et n'ont pas besoin d'autorisation pour s'installer, à la différence des étrangers et même d'autres sujets de seconde zone, comme les ressortissants marocains et tunisiens, sous protectorat français.
Surtout, ils deviennent – les hommes tout du moins – des électeurs, même si tout est fait pour les contenir au plus bas de l'échelle sociale. La loi décisive date du 20 septembre 1947, son article 3 établissant l'égalité des droits. À cette occasion, le texte confirme le rétablissement de la liberté de passage par bateau et avion accordée au printemps 1946. La concurrence entre les compagnies privées fait baisser les prix et les «indigènes», attirés par la plus grande liberté et le besoin de main-d'œuvre au nord, affluent.
Aussi utiles soient-ils à l'économie, les émigrés arrivés par milliers ne sont pas pour autant accueillis à bras ouverts. Au milieu des années 1950, ils sont entre 250.000 et 300.000 à vivre en métropole. Peu de femmes parmi eux. Massivement illettrés, jeunes, ils occupent principalement des méti
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