Le fait que la Grèce, berceau mythologique de l’Europe, soit l’épicentre de la crise de la dette relève moins d’un clin d’œil que d’une ruse de l’histoire. Une occasion en tout cas, avant de se débarrasser éventuellement du problème grec, de comprendre la dynamique historique dans laquelle nous sommes pris.
Voici trente ans, portée par les théories économiques néolibérales affirmant que l’Etat était le problème, pas la solution, la révolution conservatrice menée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan visa à réduire la capacité d’intervention de l’Etat, en baissant les impôts et en creusant délibérément la dette. Finalement, on est fondé à se demander si la crise que traversent nos pays riches, avant d’être financière ou économique, n’est pas d’abord celle de la solidarité.
Dans son livre The Audacity of Hope, le candidat Obama s’arrêtait sur le «tumulte des années 60», inauguré par la lutte pour les droits civiques des Noirs. Dans la brèche alors ouverte dans l’ordre social américain, allaient s’engouffrer – génératrices de désordre, de provocations et de violences – les manifestations contre la guerre du Vietnam et les revendications d’un nombre croissant d’«intrus» : «Féministes, Latinos, hippies, Black Panthers, mères subsistant grâce aux allocations sociales, homosexuels, […] tous exigeant une place à table et une part du gâteau.» Des affirmations nouvelles qui, accompagnées du parfum sulfureux de la contre-culture (sexe, drogue…), finirent par être interprétées comme autant d’attaques contre les valeurs de l’Amérique traditionnelle : «La famille, la religion, le drapeau, et, pour certains au moins, les privilèges des Blancs.»
«Les privilèges des Blancs»… Ce fut bien là le changement le plus considérable : un élargissement du corps social américain, qui dut alors pleinement intégrer ses minorités, dont l’immense minorité noire jusque-là insondablement méprisée. Le jeu des solidarités économiques et sociales à l’intérieur du pays s’en trouvait transformé. Avant, quand on acceptait de voir une part de ses revenus redistribuée, c’était d’une certaine façon entre vieilles connaissances blanches. Désormais au sein de la Great Society lancée en 1964 par le président Johnson, il fallait partager avec des «personnes colorées» et toute une faune improbable…
Une nouvelle ligne de fracture politique se dessinait, qui n’allait pas tarder à se prolonger de l’autre côté de l’Atlantique. Dans une Europe post-coloniale qui s’était ouverte à l’immigration économique, la figure de l’«étranger indésirable» émergea progressivement, contribuant ici aussi à nourrir la défiance vis-à-vis des mécanismes redistributifs, favorisant la diffusion d’un discours de plus en plus dur envers les «assistés». En réalité, dans beaucoup de pays européens, le terrain était prêt pour des politiques antifiscalistes.
Il faut donc inverser la relation de causalité. Ce n’est pas parce qu’il y a la crise qu’on se replie sur sa communauté, comme pour se protéger. Mais c’est parce que la communauté majoritaire – «blanche» – s’est repliée sur elle-même qu’il y a cette crise.
La grande force du candidat Obama – et la raison de l’immense espoir qu’il avait suscité en 2008 – était sa capacité à remettre au centre du débat l’enjeu de la solidarité. Si son discours de Philadelphie a tant marqué les esprits, c’est qu’il assumait et abordait enfin frontalement la question multiculturelle. Au-delà du symbole progressiste que pouvait représenter son élection, il semblait enfin en mesure de dénouer «quelque chose», de lever des peurs ou inhibitions. Il disposait du soutien populaire indispensable pour entreprendre des réformes ambitieuses. Mais quel type de réformes ?
En 507 avant notre ère, à Athènes, Clisthène, arrivé au pouvoir avec l’appui du peuple, entreprit une réforme singulière. Dans un système jusque-là dominé par quelques grandes familles aristocrati
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