Comment filmer le traumatisme d’un peuple ? Comment une fiction peut ne pas trahir ? Quelle distance garder et quelle perspective choisir ?
Quand Mathieu Kassovitz entreprend de réaliser L’ordre et la morale, récit du face à face entre forces de l’ordre françaises (dirigées par Philippe Legorjus, capitaine du GIGN) et militants indépendantistes kanak retranchés dans une grotte avec seize gendarmes pris en otage (menés par Alphonse Dianou) fin avril-début mai 1988 sur l’ïle d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, il sait que le scénario et le tournage doivent recueillir l’assentiment des Kanaks. Car l’assaut de la grotte, ordonnée par les autorités françaises le 5 mai 1988, trois jours avant le second tour des élections présidentielles, a causé la mort de dix-neuf preneurs d'otages et deux militaires dans des circonstances dramatiques, marquées par l'exécution sommaire, après l'assaut, d'au moins cinq des preneurs d'otage.
De plus, Mathieu Kassowitz s’appuie sur le livre du capitaine Legorjus, La Morale et l'Action, sorti en 1990. Ce récit est porté par la vision d'un des principaux protagonistes du côté des autorités françaises, vision qui ne recouvre évidemment pas celle des protagonistes kanaks.. Il faudra donc des années de préparation pour que ce film voit le jour (et au final, dans des conditions qui ne seront pas celles envisagées par le réalisateur).
Le documentaire de 53 minutes que nous vous proposons ci-dessous Le Temps kanak, reprend tout le travail préalable de médiation effectué par Olivier Rousset, qui a en partie grandi en Nouvelle-Calédonie, pour faciliter les rencontres entre le réalisateur et le peuple Kanak. Trois ans et des centaines de personnes rencontrées. Du respect de la coutume nécessaire pour entamer un dialogue aux lectures des divers scénarios, ces archives personnelles sont devenues ce documentaire témoignant de blessures toujours vives et d’une société où l'écoute est la première marque de respect.
via www.mediapart.fr
