Didier Fassin, sociologue, directeur d'études à l'EHESS et professeur à Princeton, auteur notamment de La Force de l’ordre et de Juger, réprimer, accompagner, poursuit son travail de fond sur le gouvernement de la précarité et les transformations de l’État, en s’intéressant à son ombre : la prison.
Didier Fassin
Avec L’Ombre du monde, Didier Fassin livre une étude ethnographique qui ne parle pas seulement des logiques pénales, mais aussi et surtout de la condition carcérale et de ce que la prison fait à ceux qui y sont détenus et à ceux qui y travaillent. En effet, selon lui, « la prison donne à lire le monde contemporain, autant par la manière dont on la remplit que par la manière dont on traite ceux qui s’y trouvent ».
Le livre rappelle des données nécessaires, comme le fait que le taux de suicide dans les prisons françaises est le plus élevé de tous les grands pays occidentaux, que l’inflation carcérale que nous connaissons actuellement est inédite dans l’histoire du pays, ou que les crimes ne représentent que 2 % de condamnations à de la prison ferme.
Mais il tente surtout de répondre aux nombreux paradoxes qui entourent la prison. Pourquoi cette institution destinée à protéger la société s’avère-t-elle souvent contre-productive ? Comment, en dépit d’idéologies pénales différentes, les effets et les logiques de l’incarcération convergent-ils sous les gouvernements de gauche comme de droite ? Pourquoi la critique des effets délétères de la prison est-elle aussi partagée, y compris par les personnels qui y travaillent, sans qu’une véritable réforme apparaisse vraiment possible ?
Jugeant que « l’ultime vérité de la condition carcérale réside en ceci que la prison est un lieu vide de sens et que ceux qui y sont enfermés font progressivement et indéfiniment l’expérience de cette vacuité », Didier Fassin déplie les dispositifs et les pratiques d’un lieu qui se révèle être un « rappel à l’ordre social plus encore qu’un rappel à l’ordre moral ».
Vous commencez votre livre avec le portrait d’un homme enfermé quelques mois pour défaut de permis de conduire et qui prononce une phrase qu’on lit aujourd’hui avec un certain vertige : « Des fois, on rentre calmes en prison, et on ressort, on est plus fous. En quatre séjours, moi, on m’a proposé plein de trucs. On a carrément voulu m’associer sur des braquages. Même, y a des islamistes, ils essaient de te recruter… » La prison est-elle avant tout une école du crime, comme le formulait aussi Amedy Coulibaly ?
Ce n’est évidemment pas toujours le cas. La prison “école du crime” fait partie d’une rhétorique qu’on trouve aussi bien chez les détenus qui veulent ainsi en dénoncer les dangers, que chez des analystes du monde carcéral qui cherchent à en montrer les effets néfastes. Même si on ne doit pas négliger le fait que la prison puisse permettre d’entrer en contact avec des réseaux criminels ou terroristes, son principal effet délétère me paraît être la désinsertion sociale et familiale qu’elle provoque, notamment pour les courtes peines qui constituent la grande majorité des détenus. Passer par la prison implique moins souvent de devenir un criminel e
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