Marie-Thérèse ne parvient pas « à remonter la pente ». « Peut-être que je n’y arriverai qu’une fois sous terre », dit-elle, la voix noyée par les larmes. Elle refuse « les médicaments et le psy pour aller mieux », « ne pense qu’à lui » : Bernard Leveque, son mari, emporté par un cancer broncho-pulmonaire, reconnu maladie professionnelle par la Sécurité sociale il y a deux ans. Il l’a attrapé dans « l’usine de [leur] vie », là où leur amour est né : Saft Nersac, en Charente, à quelques kilomètres d’Angoulême, où l’on fabrique des batteries haute technologie pour l’industrie et la Défense (devenue Arts Energy en juillet 2013 après avoir été cédée pour l’euro symbolique au fonds d’investissement Active'Invest).
Bernard est mort le 17 septembre dernier, trois mois avant ses soixante ans qui devaient sonner le pot de départ et la retraite dans le cadre du « décret Hollande », rare promesse de justice tenue par « la gauche » au pouvoir qui rétablit la quille avant l’âge légal pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Il est mort « rongé par le cadmium ». Ce métal blanc, extrêmement toxique, qui sert à fabriquer les batteries et qui se fixe, s’accumule dans l’organisme sans pouvoir être éliminé. Cancérigène, il est à l’origine de lésions irréversibles sur le foie, les poumons et les reins. Jusqu’à entraîner des pathologies lourdes, des cancers broncho-pulmonaires pouvant apparaître à l’échelle de dix, vingt ou trente ans, puis la mort.
Trente ans que Bernard faisait les nuits, 21 heures-5 heures, dans cette usine où on a manipulé pendant des décennies le cadmium sans aucune protection alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en pointait les dangers dès 1973 et que les pathologies liées au cadmium figuraient la même année au tableau des maladies professionnelles de la Sécurité sociale. « Quand j’ai été embauchée dans l’entreprise en 1976, on n’avait absolument rien pour se protéger. Les poussières de cadmium volaient, on les inhalait comme un fumeur ses cigarettes. Il n’y avait pas d’aspirateur. Pour nettoyer, on passait la soufflette et le cadmium volait un peu plus. On mangeait dans l’atelier sur les machines. On y fumait même. Bernard, c’était pire, il était en bout de ligne, les mains dans le cadmium et les solvants », raconte Marie-Thérèse.
Bernard Leveque s’en est allé le jour de l’anniversaire de leur fille, sur un lit d’hôpital, après trois années à lutter contre « la saleté ». Méconnaissable, la peau sur les os, il ne parlait plus, ne marchait plus. Lui, le marathonien, le footballeur, qui menait une vie sans excès à l’exception de quelques cigarettes roulées. « Sa mort, c’est comme si on m’avait amputée », dit Marie-Thérèse. Quand la retraite symbolise pour certains le début de la fin, l’ennui, la mélancolie, eux la guettaient. Le couple avait économisé sur leurs salaires – le Smic amélioré par les primes qui accompagnent les cadences infernales de l’usine, elle, 1 600 euros net, lui, 1 900 –, pour voyager maintenant que les deux enfants sont grands, que le pavillon acheté à crédit en 1984 est payé. Il voulait visiter leur nièce à l’île Maurice, randonner à travers la France… C’était une nouvelle vie qui devait commencer. La réco
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