Cranach élevé aux nus – Libération

Une main soutient sa tête, l’autre est posée sur une cuisse. Nue et nonchalante, les yeux mi-clos, la Nymphe de la source (après 1537) de Cranach capte le regard par une sensualité affichée. Au fond, un jet d’eau jaillit d’une grotte, et un couple de perdrix, symbole de la tentation, contemple la nymphe. Un voile presque imperceptible la recouvre, comme un alibi.«Cranach a été le premier artiste du nord à peindre une femme nue couchée, comme offerte», commente Guido Messling, historien de l’art et commissaire allemand de l’exposition présentée depuis la mi-février au musée du Luxembourg, à Paris, première rétrospective du peintre en France. «Le spectateur devient le satyre, attiré par la beauté du corps.» Mais pas touche. Dans un coin du tableau, une inscription en latin enjoint de ne pas troubler le sommeil de la belle. Le spectateur se trouve à la fois séduit et mis en garde, incité à la tempérance. Une tension ambivalente typique du travail de Cranach.

Modernité. Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553), figure majeure de la Renaissance allemande, commence à peindre des nus en 1509. Depuis quatre ans, il est le peintre officiel de la cour du prince électeur de Saxe, Frédéric le Sage, à Wittenberg, où il restera presque toute sa vie. Pour trouver son style, il regarde autour de lui, chez ses contemporains, son compatriote Albrecht Dürer ou le Vénitien Jacopo de’ Barbara. Il ne copie pas, mais s’inspire de certains thèmes, comme celui de la mélancolie, présenté au Luxembourg, dont Cranach illustre la négative passivité, contrairement à Dürer, qui en soulignait la productivité créative. Le magistral Martyre de sainte Catherine (vers 1508-1509) pourrait lui avoir été soufflé par la version de Dürer vue à Nuremberg. Sa propre interprétation est un festival de couleurs dans un ciel de feu, un patchwork de corps pêle-mêle, derrière la scène du supplice. Ses quelques libertés avec l’anatomie appuient l’impression de modernité qui se dégage de la toile.

Un des premiers nus de Cranach, une gravure sur bois d’Adam et Eve, se réfère à un cuivre de Dürer. La même année, en 1509, Cranach est le premier artiste au nord des Alpes à représenter une Vénus nue grandeur nature, accompagnée de Cupidon. Au fil de ses représentations d’Adam et Eve, son originalité s’affirme. Ses nus, longilignes, ont les seins menus et les hanches étroites. Le peintre privilégie les courbes, gomme les muscles, allonge les jambes, laissant transpirer un érotisme renforcé par des visages raffinés, au teint clair et aux yeux en amande. Les silhouettes graciles sont le plus souvent représentées avec des déformations onduleuses. C’est aussi le cas des Trois Grâces, la petite huile sur bois de 1531 qui vient d’être acquise 4 millions d’euros par le musée du Louvre (1) grâce au mécénat et à des dons privés.

S

via www.liberation.fr

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