Christophe Bertossi est responsable du programme de recherche Migrations, Identités, Citoyenneté de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il revient sur les déclarations, jeudi soir sur TF1, de Nicolas Sarkozy, interrogé par un internaute sur le «multiculturalisme». «Oui, c’est un échec. La vérité c’est que dans toutes nos démocraties, on s’est trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui accueillait», a affirmé le Président.
Comment comprenez-vous la position du chef de l’Etat sur l’«échec» du multiculturalisme?
Le discours sur le multiculturalisme et sa crise ne désigne rien, il ne porte sur aucune réalité. Il fait croire que l’Europe a été un jour multiculturaliste et que cette approche aurait mené à une crise de l’intégration. En fait, l’Europe n’a jamais connu ce «multiculturalisme d’Etat» dont on parle, pas même dans des pays comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, où la situation est plus complexe qu’on ne le dit. Et encore moins en France!
Ce discours n’est qu’une mise en scène: il évoque une crise de confiance des Européens à propos de l’intégration des migrants. Il propose un seul cadre explicatif des problèmes socio-économiques, institutionnels, politiques: les cultures immigrées et les «communautés».
En parlant ainsi, Nicolas Sarkozy se réapproprie ce qu’ont dit Angela Merkel, David Cameron et les débats aux Pays-Bas depuis une dizaine d’années.
Cette prise de position correspond-elle à un revirement des politiques d’intégration, menées ces dernières années?
Non, Nicolas Sarkozy est plutôt en train de déplacer le débat: il est plus facile de dire que les immigrés et leurs enfants sont responsables de l’échec de l’intégration que de remettre en cause certains échecs de ses politiques d’intégration elles-mêmes.
Quand on explique tout par l’identité et la culture, on ne parle plus des discriminations et des inégalités socio-économiques. Parler de «multiculturalisme» est une manière d’aller au bout de cette logique de culturalisation des problèmes.
On reste bien, en France, dans l’approche classique qui refuse la reconnaissance de «communautés» – avec toutes les contradictions que l’on connaît. Mais l’identité est récemment devenue un enjeu sans doute encore plus sécuritaire. C’est la base juridique de la loi sur le niqab: le «vivre ensemble» est devenu une question «d’ordre public».
Pour revenir au contexte européen, la problématique ne s’est pas posée de la même façon d’un pays à l’autre. La voix choisie par la Grande-Bretagne n’a pas été celle de la France, avec son modèle dit d’«intégration républicaine»?
Oui, mais le «multiculturalisme» britannique n’a jamais été une philosophie, loin de là. Au-delà d’histoires et de politiques d’intégration très différentes, les leaders des principaux pays d’immigration en Europe, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, expliquent à leurs citoyens: «votre problème c’est la diversité.»
Et Nicolas Sarkozy se sert de ce que décrit David Cameron sur la société britannique pour parler d’une réalité qui n’existe pas en France. Il dit: «regardez, la Grande-Bretagne est victime du multiculturalisme, nous avons aussi des musulmans, donc la situation est la même!» Mais en France, l’islam ne pose pas de problèmes, et notre société d’intégration fonctionne bien mieux qu’on ne le dit.
Le Président parle d’un «prosélytisme agressif», mais où est-il? L'image que Nicolas Sarkozy et ses homologues européens ont construite du «musulman» typiquement prosélyte, macho et barbare devient une réalité pour des centaines de millions de citoyens européens qui y c
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