Amer bilan de cinquante ans d'indépendances africaines: absence de
libertés politiques, accaparement des richesses naturelles,
néocolonialisme, étouffement des sociétés civiles… L'historien et
politiste camerounais Achille Mbembe jette un regard très critique sur
ce que les Etats africains ont fait de leur indépendance. Il est tout
aussi sévère à l'égard de la France qui, selon lui, n'a pas voulu
s'auto-décoloniser. A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Sortir de la grande nuit (voir ici), Mediapart a longuement rencontré Achille Mbembe. Voici le troisième volet de cet entretien.—————————
Vous retournez le miroir vers la France quand vous étudiez la post-colonisation. Et vous expliquez qu'elle a été incapable de s'auto-décoloniser.
Toute décolonisation, par principe, suppose la mise en rapport d'au moins deux acteurs: le décolonisé et celui qui a colonisé. La colonisation ne fait sens que parce que, au fond, ces deux acteurs, à partir de positions différentes, ont construit, volontairement ou involontairement, quelque chose ensemble. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que c'était quelque chose de commun. Et la mise à terme de ce «quelque chose» construit communément devrait être assumé par les deux parties.
Je constate que ce n'est pas ce qui a eu lieu. La colonisation, on peut la définir de mille façons, mais fondamentalement, c'est une forme primitive de la domination de race. Le feu intérieur de la colonisation, c'est la race. Bien sûr, la conception de la race change historiquement, en Martinique ou en Guadeloupe, au XIXe ou au XXe siècle, mais c'est quand même son foyer actif. Et d'un point de vue historique, il y a eu un investissement majeur dans le signifiant racial, sans lequel l'heure coloniale n'aurait jamais pu faire sens. On ne peut donc pas décoloniser, et laisser en place les structures psychiques qui ont échafaudé le feu intérieur de la colonisation.
Quels sont les signaux qui montrent que ces représentations perdurent?
via www.mediapart.fr