En France, l’été est une chance qui vire à l’enterrement pour certains films. Qui se souvient d’un authentique chef-d’œuvre, sorti dans quelques salles en août 1991 : Le Cri du papillon, de Karel Kachyna, avec Tom Courtenay dans le rôle d’un mime déporté à Terezin et tâchant là-bas d’alerter la Croix-Rouge, en visite trompe-l’œil, sur la réalité des camps d’extermination, à travers un spectacle métaphorique ?
En cette fin juillet 2014, il faut sauver Comrades de Bill Douglas. Réalisé en 1986, distribué au Royaume-Uni l’année suivante, ce magnifique film militant fait aujourd’hui une timide apparition dans l’Hexagone. Une quinzaine de grands écrans proposent cette preuve, bouleversante, que c’est avec de bons sentiments qu’on fait un excellent cinéma.
Bill Douglas était né en 1934 dans une famille de mineurs surexploités, en Écosse. Il est mort d’un cancer en 1991. On lui doit une trilogie autobiographique en noir et blanc, aux accents de documentaire mais aux allures d’étendard de la révolte : My Childhood (1972), My Ain Folk (1973), My Way Home (1978). Bill Douglas travailla ensuite, huit ans durant, pendant les pires années thatchériennes, sur la façon de donner à voir une révolte d’ouvriers laboureurs, en 1834, à Tolpuddle, dans le Dorset, ce comté du sud de l’Angleterre que Cherbourg semble montrer du doigt.
Ils étaient une demi-douzaine d’agriculteurs révoltés par le joug de leur maître. Celui-ci faisait régner l’oppression désarmante, avec l’aide spirituelle d’un pasteur alcoolique et veule prêchant la soumission à ses ouailles chaque dimanche. Les travailleurs des champs, attachés à cette glèbe, englués dans leur misère, osent revendiquer ; sous la conduite d’un des leurs, autodidacte, partisan d’une théologie de la libération avant la lettre, précurseur d’une action syndicale intolérable aux puissants du moment.
Cette poignée d’activistes de la campagne se voit durement châtiée par une police et une justice aux ordres d’une caste hégémonique. Procès inique, puis déportation en Australie pour les révoltés du Dorset. Ils sont néanmoins rapatriés au bout de trois ans, grâce à une campagne menée à Londres et dans toute cette Angleterre de la fin de l’époque georgienne.
Le souvenir de ces « martyrs de Tolpuddle », qui donnèrent le signal de tant de révoltes logiques, est resté plus ou moins vivace outre-Manche. Bill Douglas magnifie cette lutte en l’enchâssant, avec une esthétique inattendue, qui prend à contre-pied la geste habituelle et brise les conventions du cinéma engagé : tout est hiératique, lent, solennel et presque sacré, comme si la sédition était menée par des santons. Le village et les chaumières où l’on crève de faim, où l’on tremble de froid, où s’abat la désespérance, sont appréhendés tel un musée des arts et traditions populaires (admirable travail sur l’idiome et la vêture). Ce monde est peint, avec une science des cadrages et des couleurs qui transporte entre les frères Le Nain et Millet. Le spectateur a d’abord l’impression de piétiner dans la gadoue et de ruisseler d’humidité, tandis qu’ensuite, aux antipodes, lors du séjour australien, nous sommes l
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