Comment les lobbyistes bruxellois manœuvrent pour « faire » la loi | L’Humanité

Chaque jour, explique Sylvain Laurens, sociologue, auteur de « les Courtiers du ­capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles », 30 000 lobbyistes œuvrent dans le quartier européen de Bruxelles pour le compte des organisations patronales ou des grandes entreprises. Comme il le montre ici, leur action débute bien en amont de l’examen des directives ou des règlements par le Parlement européen.

 

En fait, dès l’élaboration de la première mouture des textes par les services de la Commission européenne. Détenteurs de données économiques dont les fonctionnaires de la Commission ont besoin pour élaborer les projets de réglementation, ils usent de cet avantage pour les approcher. Jouant des rivalités entre bureaucrates ou des conflits politiques, ils sont à l’affût d’informations. Leur Graal ? Le « draft », c’est-à-dire la première version d’un texte législatif.

«Nous, on travaille vraiment plus au niveau de la Commission, même si on est des lobbyistes et que tout le monde s’attend à ce qu’on soit plus au niveau du Parlement », explique patiemment cette lobbyiste défendant les intérêts de l’industrie du gaz à Bruxelles. Et elle n’est pas la seule dans ce cas. Lorsqu’on se penche sur le travail quotidien des 30 000 lobbyistes que compte le quartier européen de Bruxelles, on se rend rapidement compte que la plupart d’entre eux œuvrent d’abord et principalement en direction des fonctionnaires des différentes directions générales (des « DG » dans le jargon bruxellois).

Leur travail suppose l’établissement d’une relation privilégiée non pas exclusivement avec des eurodéputés mais avec un chef de bureau (desk officer) ou un chef d’unité spécialisé en charge de la réglementation de « leur » propre produit. Cette priorité donnée aux relations avec un ou des acteurs administratifs en nombre limité invite à considérer le métier de lobbyiste sous l’angle d’une appropriation par des acteurs privés d’un savoir sur l’administration.

À Bruxelles, les salariés des fédérations patronales fournissent régulièrement aux chefs de bureau avec qui ils sont en relation des données techniques sur leur secteur économique. C’est bien sûr d’abord un moyen pour eux de maintenir l’accès aux couloirs des administrations. Ce faisant, ils sont capables d’identifier l’interlocuteur administratif le plus utile à leurs dossiers et de suivre son agenda personnel.

Suivre à la trace « son » chef de bureau

Connaître « son » desk officer presque personnellement facilite le lobbying à plusieurs égards. Cela permet, par exemple, de savoir quand il est encore utile de pousser une position et quand, à l’inverse, il ne sert à rien de se montrer insistant. Lors d’une observation dans un lobby dépendant du CEFIC (le puissant lobby de la chimie), un lobbyiste m’explique ainsi les difficultés qu’il rencontre actuellement à nouer des contacts avec son interlocutrice habituelle : « La desk officer avec qui l’on bosse quasi exclusivement à la DG Sanco [Santé et sécurité alimentaire, NDLR] pose problème car elle ne répond plus depuis juillet, depuis l’adoption de la directive sur les films alimentaires. Je pense qu’elle espérait une promotion après avoir clôturé ce dossier mais cela ne vient pas assez vite. Du coup, elle n’engage pas de nouveaux dossiers. »

Pour faire avancer leur position, les représentants d’intérêts économiques ne sont pas seulement liés par les temporalités propres à la gestation des directives. Ils sont structurellement dépendants de la dynamique de carrière de leurs interlocuteurs administratifs. Qu’un de ces derniers fasse ses cartons pour une autre DG, et un dossier pourra bien être enterré

via www.humanite.fr

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