Attention, philosophie de guerre | Mediapart

Les forces armées américaines disposent de plus de 6 000 drones qui se déploient partout dans le monde, y compris dans des pays qui ne sont pas en guerre. Mais cette « dronisation » d’une part grandissante des forces armées ne constitue pas seulement un bouleversement technologique.

Cet « objet violent non identifié » affecte en effet des notions aussi élémentaires que « celles de zone ou de lieu (catégories géographiques et ontologiques), de vertu ou de bravoure (catégories éthiques), de guerre ou de conflit (catégories à la fois stratégiques et juridico-politiques) », explique Grégoire Chamayou dans son dernier livre.

La dronisation de la guerre porte en elle une mutation de la manière de tuer, et des justifications pour le faire, qui ne fait pas seulement trembler le droit international. En permettant à la guerre, d’asymétrique qu’elle pouvait être, de se faire unilatérale et en brouillant la distinction entre combattants et non-combattants, le développement des drones cèle des conséquences vertigineuses, à la fois éthiques, juridiques et anthropologiques. « Plutôt que de se demander si la fin justifie les moyens », le philosophe doit donc se demander « ce que le choix de ces moyens, par lui-même, tend à imposer. »

Pour comprendre les implications de ce processus, le philosophe doit, d’abord, « se faire d’une certaine manière technicien ». Grégoire Chamayou étudie donc notamment comment « pendant que l’engin patrouille, les opérateurs, au sol, font les trois-huit face à l’écran », ce qui serait impossible pour un pilote d’avion. « La délocalisation des équipages hors de leur cockpit a permis une profonde réorganisation du travail, et c’est en réalité cela, au-delà des prouesses technologiques de la machine, qui assure, par effet de démultiplication socialisée des pupilles humaines la “veille géospatiale constante” du regard institutionnel. »

Drone Predator tirant un missileDrone Predator tirant un missile

Toutefois, en dépit des bouleversements militaires et politiques qu’il catalyse, le drone est loin d’être la perfection technique que ses promoteurs présentent. Il ne permet pas de voir avec une précision suffisante les formes qu’il vise pour éviter de tuer des femmes ou des enfants désarmés, comme plusieurs bavures l’ont déjà montré. Le drone Predator, par exemple, possède une kill zone de 15 mètres, ce qui signifie que tous ceux qui se trouvent dans un rayon de 15 mètres autour du point d’impact, même s’ils ne sont pas la cible désignée, mourront avec elle. En comparaison, le rayon létal d’une grenade est de 3 mètres.

« On se demande dans quel monde de fiction tuer un individu avec un missile antichar qui annihile tout être vivant se trouvant dans un rayon de 15 mètres et blesse tous les autres dans un rayon de 20 peut être réputé “plus précis” », interroge Grégoire Chamayou. Le drone est aussi soumis aux effets de data overload, cette surcharge de données qui finit par les rendre difficilement exploitables, puisque, par exemple, durant la seule année 2009, les drones américains ont engendré l’équivalent de 24 années d’enregistrements vidéo…

Un drone EADS Eagle au BourgetUn drone EADS Eagle au Bourget

En décryptant les soubassements techniques du fonctionnement de ces machines volantes, la Théorie des drones en d

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