Sa banalisation a des causes logiques mais est aussi le fruit d’une complaisance étrange. Côté logique, Marine Le Pen est créditée actuellement de 20% ou plus des intentions de votes présidentielles. Dans ces conditions, il devient impossible de la regarder comme une marginale de la société politique. Sa puissance la respectabilise. Par ailleurs, partout en Europe, on voit monter le flux de partis populistes ou de partis d’extrême droite. Dix-huit pays de l’Union européenne sur vingt-sept sont atteints par cette marée xénophobe, protectionniste, autoritaire et démagogique. La Finlande, pourtant prospère et peu concernée par l’immigration, l’a encore illustré, si l’on peut dire, ces derniers jours avec la percée des «Vrais Finlandais» dont le ressort principal consiste à refuser toute forme de solidarité avec les autres Européens. Le populisme est d’abord un égoïsme et un repli sur soi en période de crise, on vient de le vérifier à Helsinki. Par-dessus le marché, dans chaque cas les populismes et l’extrême droite se développent dans les milieux populaires et du coup les commentateurs embarrassés ne peuvent s’empêcher de les légitimer plus ou moins. Il faut la caricature hongroise et la présence d’un parti ouvertement néofasciste pour provoquer un timide début de réaction.
Cela ramène justement à l’autre facteur de la banalisation du Front national, la bizarre complaisance qu’il suscite dans les médias. Combien d’articles, d’éditoriaux, de chroniques, d’interviews ont célébré la «modernisation» du Front national par Marine Le Pen ? Combien ont présenté la présidente du Front national en dirigeante comme les autres ? On l’appelle Marine, comme on parlait de Ségolène par cette étrange habitude de nommer les femmes politiques par leur prénom, comme si elles impliquaient davantage de familiarité que les hommes. On célèbre son mode de vie et ses mœurs si contemporaines, comme si c’était une performance et une originalité de ne pas vivre comme une Bretonne du XVe siècle. Certains chroniqueurs la décrètent même sympathique. Il y a plus grave : étant la seule personne d’envergure politique au sein de son parti, c’est donc toujours elle qui est la seule invitée à la télévision, alors que pour les autres formations politiques, il y a en permanence un roulement entre les dirigeants. Du coup, elle bénéficie d’un surcroît d’exposition, donc de notoriété, voire de légitimité. Cet avantage risque de s’accentuer durant la campagne présidentielle. Pire encore : elle bénéficie d’une absurde et injustifiée bienveillance sur les sujets de fond. Quand le PS publie son projet toute la presse le décortique et, souvent, le critique. Lorsque Nicolas Sarkozy prend une initiative, quelle qu’elle soit, c’est aussitôt un déchaînement. Marine Le Pen, elle, présente un programme économique aussi archaïque qu’inapplicable et c’est tout juste si on ne la félicite pas de savoir s’adresser aux milieux populaires. Comme si, devant ses succès, l’esprit critique s’émoussait ou se laissait intimider.
Marine Le Pen brandit l’arme de la laïcité pour habiller sa xénophobie. Elle veut sortir de la zone euro, de la zone Schengen, et, en fait, par chacune des mesures qu’elle propose de l’Union européenne. Elle réclame le protectionnisme et la préférence nationale. Elle fait miroiter des augmentations de salaires que justement ses autres mesures rendraient illusoires. Elle parie sur la dévaluation, l’inflation, l’isolationnisme. Elle préconise un Etat fort et autoritaire, y compris en matière économique. Comment ne voit-on pas que ce sont, trait pour trait, les recettes des ligues d’extrême droite des années 30
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