Pour la famille Magnitski, et pour son ancien employeur William Browder, le PDG du fonds d’investissement Hermitage Capital, le doute n’est pas permis : le juriste a été assassiné, car il avait découvert et révélé une magouille monumentale, sanctionnée au plus haut niveau. En 2007, après avoir confisqué trois sociétés appartenant à Hermitage Capital, le lieutenant-colonel de la police, Artiom Kouznetsov, accompagné de Viktor Marguelov, un criminel récemment sorti de prison, obtiennent du fisc russe, en un temps record, le remboursement d’un trop-perçu de 150 millions d’euros sur la TVA. En octobre 2008, Sergueï Magnitski vient déposer une plainte contre les escrocs au Comité d’enquête. Un mois plus tard, il est arrêté chez lui par les subordonnés d’Artiom Kouznetsov et placé en détention préventive, accusé d’avoir organisé l’évasion fiscale du fonds d’investissement pour… 150 millions d’euros.
Parce qu’il refuse de témoigner à charge contre Browder, Magnitski est malmené par l’administration pénitentiaire. «Il était transféré souvent de cellule en cellule. Les conditions y étaient de plus en plus mauvaises», raconte Svetova, membre d’une commission de visiteurs de prisons, qui a enquêté par la suite sur la mort du juriste. Natalia Magnitski confirme : «Les courriers n’arrivaient pas, les colis se perdaient, et je ne l’ai vu qu’une seule fois en onze mois.» Magnitski rédige des plaintes quotidiennes. Sa situation empire. Au bout de quelques mois de détention, sa santé s’est tellement détériorée qu’il a désormais besoin de soins particuliers, jamais dispensés, comme l’établira l’enquête de la commission.
Coups de matraque. «La dernière fois que je l’ai vu, au tribunal, c’était quatre jours avant sa mort, il avait l’air fatigué, mais ne ressemblait pas à un mourant», se souvient sa mère. Pourtant, le 16 novembre 2009, Magnitski est transféré d’urgence de la prison de la Boutyrka à celle de Matrosskaïa Tichina, qui dispose d’un bloc médical. Il meurt quelques heures plus tard, dans des conditions obscures. Selon un psychiatre appelé en urgence, Magnitski n’était plus vivant à son arrivée et son corps portait des blessures. La médecin chef Alexandra Gaouss assure que le juriste décède plus tard, alors qu’elle tentait de le réanimer. Un rapport publié en 2011 par Hermitage Capital, quant à lui, accuse : Magnitski a succombé à des coups de matraque. «Nous avons toutes les raisons de croire que la mort de Magnitski n’est pas un accident», poursuit Svetova. La commission des visiteurs de prison interroge matons, aides-soignants, médecins et détenus. Les plaintes de Magnitski ont disparu de tous les registres, ses signatures ont été imitées sur certains documents, et les témoignages du personnel pénitentiaire se contredisent. Jugé pour négligence, le médecin de la Boutyrka Dmitri Kratov, est finalement acquitté. «Mais aucune des personnes qui se trouvaient avec Magnitski durant les dernières heures de sa vie n’a été inquiétée, ni même invitée à la barre des témoins», rappelle Svetova. Pas plus que les juges, les enquêteurs ou l’administration pénitentiaire, qui ont fait de sa vie derrière les barreaux un enfer. Pour les accusateurs du juriste et leurs complices, c’est la belle vie. A en croire l’enquête diligentée de Londres par Browder, ils roulent en voitures de luxe et possèdent des appartements de Moscou à Dubaï.
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