Il y a un mystère Charlotte Delbo (et même plusieurs). Pourquoi celle qui a écrit la Trilogie d’Auschwitz et après, l’auteure d’Aucun de nous ne reviendra, résistante, déportée, célébrée à l’étranger comme l’égale de Primo Levi ou Robert Antelme, publiée par Jérôme Lindon aux éditions de Minuit, est-elle relativement méconnue en France ? Le centenaire de la naissance de Charlotte Delbo a été mis au nombre des commémorations nationales 2013 par le Haut comité du même nom. C'est heureux, et la liste des mises en scène, lectures, colloques, est impressionnante (lire sous l'onglet Prolonger).
Les célébrations débutent avec la publication d’une biographie aux éditions Fayard, que signent Paul Gradvohl, historien spécialiste de l’Europe centrale et Violaine Gelly (rédactrice en chef, indique le dossier de presse. Précisons : de Psychologies). Les deux auteurs se sont eux aussi posé la question : pourquoi ce presque-purgatoire ? Elle, dont l’écrivain et critique François Bott disait : « Charlotte racontait la monstruosité, elle montrait la barbarie, mais elle disait surtout l'injure faite à la beauté d'un visage qu'on mutile. »
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L’une des pistes évoquées est le fait que Charlotte Delbo soit une femme. Il y a bien de cela, non parce qu’une œuvre féminine sur le sujet serait moins considérée, nous n’en sommes plus là, mais parce que Charlotte Delbo dit à la fois les êtres puants, édentés, enlaidis, que deviennent des femmes au camp, et leur violente, extraordinaire force de résistance. Femmes privées des attributs de la féminité et femmes puissantes… Du coup serait-elle doublement dérangeante ? Rien d’étonnant si Charlotte Delbo est étudiée dans les facs américaines, notamment dans le cadre des gender studies. Elle est aussi dépourvue de tout cynisme, affirmant hautement ses valeurs : dérangeant, parfois...
Elle écrit sans mise à distance et l’analyse n’est pas, pour elle, le chemin du retour à l’humain. Son style, en narration, en théâtre, en poésie, est direct, sans effet, rythmé. Elle est une voix, singulière, généreuse et brute.
La femme raffinée, en fourrure et avec fume-cigarette que montrent les photos est native de Vigneux-sur-Seine, famille d’émigrés première et seconde génération venus d’Italie, maison que l’on agrandit quand l’argent rentre, père sur les chantiers, mère à la maison, stricte. À Vigneux, on est partageux, tendance anar, on respecte la parole donnée et on se méfie des politiques. On estime devoir quelque chose à la France, terre d’accueil. La voici, la base..
via www.mediapart.fr