Dans son livre paru l’année dernière, Emmanuel Blanchard restitue les résultats d’une enquête sur la police parisienne. Il montre comment, de 1947 à 1958, la préfecture de police, en réponse à ce qu’elle perçoit comme le « problème nord africain », constitue, de façon non encore publique, des unités ciblant spécifiquement les Algériens. Alors que la guerre d’indépendance algérienne s’étend à la métropole en 1957 et 1958, les forces de police s’engagent dans une politique « d’élimination des indésirables ». A l’automne 1961, le préfet Maurice Papon obtient du gouvernement un véritable « chèque en blanc » pour démanteler le FLN et mener une bataille qui débouchera sur la perpétuation d’un massacre colonial au cœur de Paris, le massacre du 17 octobre 1961. Cette enquête historique inédite est précieuse en ce qu’elle permet de réinscrire ce déchaînement de violence exceptionnel dans des généalogies plus longues. En faisant la socio-histoire de l’institution policière et de ses liens avec le gouvernement, en restituant le rôle de Maurice Papon et la responsabilité très claire de Michel Debré et du Général de Gaulle, on voit réfutées les thèses d’un gouvernement politique dépassé ou alors celle d’une simple « crise » au sein de la police. Tout en recommandant la lecture du livre dans son entier, nous reproduisons ici son épilogue.
« Les policiers sont devenus les combattants sans merci d’une lutte sournoise et sans merci, car c’est d’une guerre raciale qu’il s’agit. Et voici la conséquence : l’État, lui, est devenu dépendant de sa police – de son armée aussi, de cette armée dont certains organes ont été démesurément développés par leurs fonctions répressives : l’esprit de corps est la source de tout notre malheur comme il l’était déjà du temps de Dreyfus. »
François Mauriac, Le Figaro littéraire, 11 novembre 1961 [1]
En octobre 1961, toutes les conditions de possibilité d’une violence extrême étaient réunies. L’histoire longue des pratiques de police vis-à-vis d’une population racialisée et soumise à une emprise spécifique des forces de l’ordre ; l’état de quasi-belligérance entre une organisation armée et des policiers voulant venger leurs morts ; la désobéissance organisée à un « couvre-feu » qui, sans fondement légal, était le symbole d’une forme de souveraineté policière ; l’atteinte symbolique à la souveraineté nationale défiée par la parade d’une « organisation terroriste » avec laquelle il n’était possible de négocier qu’à condition qu’elle soit défaite ; le format du dispositif de maintien de l’ordre ; la tolérance hiérarchique et politique vis-à-vis de violences quotidiennes et de pratiques extra-légales considérées comme nécessaires ou pour le moins inévitables, sont au nombre des logiques qui permettent d’appréhender ce massacre inscrit dans la situation coloniale.
Ce serait cependant céder à « l’illusion étiologique [2] » que d’expliquer le massacre du 17 octobre 1961 seulement par ces généalogies et ce contexte. Pour que les rafles au faciès dégénèrent en quasi-« pogrom [
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